L’avenir de l’armée, après l’ère Schmid, occupe toutes les gazettes. On comprend l’intérêt porté à la gestion des 5 milliards consacrés chaque année à la défense nationale. En importance comparable, la politique agricole de la Suisse coûte aux contribuables 3,5 milliards par année. Mais elle se conduit dans l’indifférence quasi générale des médias et de l’opinion. Les Suisse aiment-ils donc sans réserve leurs paysans? Ils ont plutôt une profonde méconnaissance d’un dossier compliqué. C’est à une séance de rattrapage que nous invitent les auteurs de L’agriculture dans son nouveau rôle. En termes simples, nous pouvons suivre, en une quinzaine d’années, le passage d’une agriculture entièrement géré par l’Etat vers un système plus proche du marché. La Suisse n’avait pas le choix, mise sous pression par l’incontournable libéralisation des échanges mondiaux. Nous sommes cependant encore très loin du libre-échange. Les droits de douane protecteurs restent parmi les plus importants dans le monde, avec des pointes atteignant 200%. Pour atténuer la pression internationale, la Suisse a habilement inventé les paiements directs, versés aux agriculteurs pour l’entretien du paysage et la prévention de la désertification. Ce système permet de distribuer une moyenne de 43 000 francs à chaque exploitation agricole. La Constitution impose cette générosité. La Confédération doit en effet soutenir une agriculture basée sur l’exploitation familiale, qui respecte le développement durable, les exigences du marché et la sécurité de l’approvisionnement de la population. Ce programme idyllique a été plébiscité à 76% par un vote populaire en 1996.
Le modèle agricole suisse sera difficile à sauvegarder. Après une description didactique du passé et du présent, les auteurs tentent une vision prospective sur le moyen et le long terme. La poursuite de l’ouverture des frontières est programmée à l’OMC. L’accroissement de la population mondiale, le revenu grandissant de la Chine et autre pays émergents vont accroître durablement la demande de produits agricoles. Les agrocarburants vont inéluctablement concurrencer la production alimentaire. Ils sont rentables au Brésil quand le baril de pétrole atteint 30 dollars. Ils le seront en Europe avec un baril à 80 dollars. Pour répondre à cette intense sollicitation des ressources de la terre, les nouvelles techniques de cultures, OGM compris, vont s’imposer dans de vastes exploitations liées en amont aux industries et en aval aux grands distributeurs.
Face à ce système hyperproductif et centralisé, la petite Suisse isolée ne pourra pas défendre son modèle agricole. Seule une étroite alliance avec l’Europe qui développe une stratégie analogue devrait permettre d’organiser la défense. Berne en prend le chemin avec l’ouverture de négociations avec Bruxelles sur un accord de libre-échange agricole. Mais ce défi est énorme. Le revenu paysan serait amputé de moitié. Et pour respecter le modèle agricole inscrit dans la Constitution, la Confédération devrait dégager des moyens financiers dépassant très largement l’effort consenti actuellement. En violant le frein constitutionnel à l’endettement?
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D. Barjolles, J.-M. Chappuis, Ch.Eggenschwiler, L’agriculture dans son nouveau rôle, Le savoir suisse No No 52, 2008
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