Je voterai en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler le projet triangulaire, mais pour des raisons différentes de celles qui sont généralement évoquées. Plutôt que de se demander si la pharmacie doit aller ici plutôt que là, ne devrait-on pas se poser d’autres questions comme: est-ce bien le rôle de l’Université de former des pharmaciens qui exerceront un métier où ils sont souvent remplacés par des vendeurs?
La question de l’adéquation entre les professions telles qu’elles sont pratiquées et la formation dispensée par l’Université se pose dans de nombreuses disciplines scientifiques. Au cours des cinquante dernières années, le passage du qualitatif au quantitatif a permis d’explorer de manière toujours plus pertinente les phénomènes naturels. Le 19 e siècle a surtout été celui de leur description, le 20 e , celui de leurs mécanismes. La cristallographie, la météorologie, la climatologie, la glaciologie, pour citer quelques exemples, nées chez les naturalistes, sont maintenant développées et gérées par des physiciens.
La biologie ne résiste à cette emprise des physiciens que de manière apparente : biochimie, biologie moléculaire, biophysique et intelligence artificielle entretiennent avec la physique des frontières de plus en plus floues. Les étudiants qui désirent se diriger vers ce type de recherches devraient avoir une très solide formation en physique, au moins du niveau des ingénieurs. L’EPF démontre qu’en quatre ans une telle formation peut être acquise. Avec l’arrivée de la biologie à l’EPF, il y a quelques chances pour que soit une fois étudié un programme de haut niveau en physique, dans lequel chimie et biologie occuperaient la place réservée aux spécialités des ingénieurs. Les disciplines traditionnelles comme la botanique ou la zoologie devraient rester l’apanage de l’Université, sans pour autant être des sciences au rabais. Dans une revue scientifique récente, des biochimistes donnaient la formule d’une molécule médicalement intéressante extraite d’un organisme marin, mais se trouvaient dans l’impossibilité de dire de quel organisme il s’agissait, faute d’un systématicien ou d’un anatomiste capables d’en faire la description!
Les propositions du projet triangulaire ne sont peut-être pas inspirées par ces considérations, mais elles vont, à long terme, dans le bon sens. Il ne s’agit pas de répartir les disciplines entre Genève et Lausanne, mais de les ventiler dans les institutions les mieux à même de former des chercheurs performants. La Suisse a, dit-on, de la matière grise comme principale ressource; encore faut-il savoir bien la cultiver.
Marcel Burri, Bex
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