L’article constitutionnel qui sera soumis au vote du peuple le 1er juin sous le titre caramélisé «Qualité et efficacité économique dans l’assurance-maladie» est un parangon d’hypocrisie politique et de confusion juridique (voir aussi DP 1772). Car la Confédération dispose de toute compétence constitutionnelle pour légiférer en ce domaine. Le Conseil fédéral lui-même, qui n’est pas l’auteur du projet, tient à le souligner. Il s’agirait donc, par ces nouvelles dispositions, de marquer plutôt une orientation de la politique de la santé.
Que le peuple, par le truchement de l’initiative populaire, propose des modifications constitutionnelles pour imposer une autre politique, c’est une procédure incontournable puisqu’il ne dispose pas du droit de recourir à l’initiative législative. Mais que le parlement, dont la raison d’être est de légiférer, passe par une modification de la Constitution pour se dicter à lui-même l’orientation des lois est contraire à notre ordre juridique. Pourquoi n’élabore-t-il pas, avec sa majorité, les nouvelles lois qu’il souhaite au lieu de prétendre se faire dire dans quel sens il faut qu’il les prépare?
La confusion est dès maintenant perceptible. De toute façon il faudra légiférer. Mais comment interpréter les dispositions constitutionnelles proposées? Médecine à deux vitesses, jusqu’où? Concurrence poussée jusqu’où? Un payeur unique pour financer les hôpitaux, comment? Seule la loi permettrait de répondre. Alors pourquoi ne pas commencer franchement par là? Cette dérobade pue l’hypocrisie. Faire approuver par le peuple un texte enrobé pour ensuite prétendre être les interprètes de la pensée de la majorité populaire.
Hôpitaux, prestations citoyennes
Un point est sans équivoque. L’arrêté constitutionnel se veut un stimulant de la concurrence. Elle devrait jouer notamment pour les hôpitaux, qui seraient financés par les seuls assureurs qui recevraient les subsides de l’Etat. Payeurs uniques, ils seraient mieux aptes à mettre en œuvre la concurrence souhaitée – quand bien même l’opacité de leurs comptes est notoire.
Les adeptes de cette politique estiment que notre pays compte trop de lits hospitaliers et que les magistrats élus sont trop dépendants de leurs électeurs pour imposer les réductions nécessaires, alors que la concurrence économique règlerait l’excès de l’offre aussi naturellement qu’elle a acculé à la fermeture les épiceries de village.
Outre que l’accusation de poltronnerie à l’égard de l’autorité politique est gratuite, outre que la concurrence stimulée frapperait un secteur où les conditions de travail sont souvent à la limite, le tout économique méconnaît le rôle des hôpitaux dans les rapports identitaires entre l’Etat et le citoyen.
L’hôpital est le lieu où tout membre de la communauté sait qu’il sera reçu avec sa souffrance somatique ou psychique, grave ou bénigne. Le domaine où l’Etat, même s’il n’est pas le seul partenaire de l’organisation sanitaire, n’est pas perçu comme gendarme et percepteur, mais comme tutélaire et samaritain.
Dans les hôpitaux, l’intégration se vit au quotidien. Il suffit d’observer le multi-ethnisme du personnel soignant d’une part, et des patients d’autre part.
Ne vouloir prendre en compte que l’économique et en faire le seul critère de régulation, ce serait méconnaître gravement ce qui constitue un lien social, régional et cantonal. La concurrence ne saurait donc imposer le seul diktat de sa loi.
L’équivoque
D’autres chapitres des effets néfastes de l’arrêté constitutionnel proposé mériteraient examen. Mais la confusion est dans la méthode même, celle d’une feuille de route équivoque que le parlement se dicte à lui-même.
Rejetable absolument.
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