Pour résoudre la crise alimentaire, il faut dessaisir l’OMC du dossier agricole et le confier à l’ONU. C’est ce qu’affirme péremptoirement un spécialiste français de l’agriculture (Le Temps 21 avril). Le libéralisme prôné par l’OMC aurait donc détruit l’agriculture vivrière du tiers monde et conduit sa population à la famine. Cette image caricaturale nécessite de sérieuses retouches.
Il y a d’abord une erreur historique. La diminution des cultures vivrières au profit du café ou de la banane est un phénomène vieux comme la colonisation, alors que l’amorce de libéralisation agricole de l’OMC n’a guère plus de 15 ans. Les taxes à la frontière ont été progressivement réduites de15%. La protection agricole, souvent très élevée, subsiste donc à 85%. En revanche les subventions à l’exportation pratiquées par les pays riches, qui leur permettent de déverser leurs excédents à bas prix dans le tiers monde, ont dû être diminuées de 36%.
La seconde étape de libéralisation est en négociation depuis sept ans. Après des décennies d’abaissement tarifaires pour les seuls produits manufacturés, la Nouvelle Zélande, le Brésil et autres pays agricoles exercent une forte pression sur les pays industriels pour obtenir à leur tour des avantages par un meilleur accès au marché pour leurs produits. On peut comprendre leurs exigences. Mais la négociation, dite de Doha, a posé d’emblée le principe d’un système de libéralisation différenciée, favorable aux pays du sud. Frappés durement par la crise alimentaire, ces pays ont aujourd’hui de solides arguments pour faire triompher le principe de l’asymétrie des sacrifices. Ils peuvent réclamer le maintien d’une large protection de leur agriculture. D’autre part, il est déjà acquis que les aides à l’exportation des pays riches seraient totalement abolies. L’agriculture du tiers monde a donc un intérêt direct au succès des négociations sur le commerce international.
Un accord à l’OMC, même idéalement favorable aux pays les moins avancés, ne serait évidemment pas suffisant pour surmonter la crise alimentaire. Le programme alimentaire mondial de l’ONU a besoin cette année d’une rallonge de 760 millions de dollars pour combattre la famine. La Banque mondiale annonce qu’elle va réorienter son aide au développement vers l’agriculture largement délaissée ces dernières années. Il conviendrait également de mettre sur pied des accords de stabilisation du cours des matières première du type de ceux envisagés par la CNUCED dans les années septante, mais qui ont mal fonctionné. Le dernier en date, celui sur le cacao, est mort il y a six ans. Les lents mécanismes des organisations internationales se mettent donc en marche pour résoudre la crise alimentaire. Mais faire de l’OMC le bouc émissaire des malheurs de la planète et l’exclure de la stratégie qui s’amorce ne ferait que de diminuer l’efficacité du combat contre la faim.
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