L’opposition était programmée entre Doris Leuthard et quelque 400 agriculteurs romands dans un débat organisé par le journal Agri sur l’ALEA, l’accord de libre-échange agricole avec l’Union européenne. Les émeutes de la faim au Cameroun et autres pays pauvres, étranglés par la hausse des cours mondiaux des céréales, ont fourni de nouvelles munitions aux paysans très majoritairement hostiles l’accord. Ils ne se battent plus seulement pour leurs revenus. Face à la pénurie alimentaire qui menace le monde, ils entendent défendre l’approvisionnement de la Suisse par une production de proximité renforcée à l’abri de nos frontières. L’accord de libre-échange agricole qu’entend négocier le Conseil fédéral aboutirait au résultat inverse. Les produits européens meilleur marché envahiraient la Suisse, au détriment de la production nationale. Maintenons donc nos protections et nos prix pour prévenir la pénurie, disent-ils.
Doris Leuthard invite également la crise alimentaire dans le débat sur l’ALEA. Mais d’une autre manière. La flambée des cours mondiaux va diminuer l’énorme écart entre les prix suisses et étrangers, qui atteignait 46% en 2006. L’adaptation aux conditions européennes en sera facilitée. Et puis l’ALEA, loin de mettre en cause la production agricole nationale va, au contraire, la garantir sur le long terme. Malgré le système actuel de protection, l’agriculture suisse a perdu 10% du marché national ces 7 dernières années. Les consommateurs et l’industrie de transformation sont attirés par les produits étrangers plus avantageux. L’accord offrirait des débouchés à une production suisse de qualité. Introduit progressivement, le libre-échange ne serait pleinement effectif qu’en 2017. Une aide massive de la Confédération de 3 à 6 milliards de francs assurerait une transition sans douleur. Un groupe de travail auquel participeront les principales organisations agricoles est déjà désigné pour élaborer des mesures d’accompagnement.
La base paysanne ne croit pas à son avenir dans le grand marché européen. Les différences de prix constatées aujourd’hui sur le terrain sont trop abyssales pour être surmontées. Le succès de l’agriculture autrichienne n’ébranle pas les certitudes. La situation suisse est si particulière qu’elle doit le rester durablement. Les dirigeants agricoles, parfaitement conscients des contraintes et des pressions internationales, ont une hostilité moins frontale. Ils ne pratiqueront pas la politique de la chaise vide dans le groupe de travail sur les mesures d’accompagnement à l’ALEA. Mais ils demandent au Conseil fédéral d’attendre le résultat des négociations de l’OMC avant d’entrer en discussion avec Bruxelles. Le Conseil fédéral n’est pas de cet avis. La crise alimentaire mondiale s’est également invitée à l’OMC. Elle a essentiellement pour effet d’exiger plus fermement que les pays riches renoncent à subventionner leurs exportations qui désorganisent les agricultures vivrières des pays pauvres. Mais rien n’est changé dans l’exigence de l’ouverture des frontières des pays riches, dont l’Europe. Que ce soit cette année, dans deux ou trois ans, la Suisse sera contrainte à faire de larges concessions agricoles. La seule alternative serait de quitter l’organisation, un geste suicidaire. Il faut donc préparer la libéralisation face au monde en cherchant, au plus tôt, un solide ancrage dans le marché européen. Attendre les résultats de l’OMC avant d’agir ne serait qu’une dangereuse perte de temps.
L’argumentation gouvernementale a toute sa pertinence. Mais il faut du courage pour entamer des négociations en faveur d’une branche économique qui freine des quatre fers. Le Conseil fédéral montre en revanche moins d’audace pour résister à l’industrie pharmaceutique qui se bat contre les importations parallèles.
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