L’agriculture suisse, la plus protégée au monde, pourrait ouvrir ses frontières à l’Europe. Un accord de libre-échange (ALEA) avec Bruxelles n’est pas encore conclu (DP 1748). Mais une série d’événements récents fait penser que l’inimaginable devient possible. Le dégel a commencé il y a quinze ans déjà. Sous la pression des accords internationaux de l’OMC, la Suisse a décidé de se rapprocher progressivement des prix agricoles européens. La baisse du franc face à l’euro a accéléré la tendance. Le cours mondial des matières premières agricoles qui paraît durablement à la hausse a encore amenuisé la différence entre la Suisse et l’Union. Le prix du lait a certes gagné quelques centimes en Suisse, mais dans une moindre mesure qu’en Europe (DP 1749). Le fossé autrefois béant se comble, même pour les céréales où les différences restent malgré tout importantes. Pour ces raisons économiques, le saut vers la libéralisation paraît donc moins vertigineux. L’éviction du patron de l’UDC semble avoir redonné quelque audace aux autres partis gouvernementaux ainsi qu’au Conseil fédéral. La semaine passée, l’ALEA est sorte du frigo où on l’avait relégué avant les élections fédérales.
La large majorité des agriculteurs reste certainement hostile à un alignement sur les conditions européennes. Le contraire serait surprenant. Les baisses de prix amputeraient lourdement le revenu des paysans. Les responsables des organisations agricoles le font savoir haut et fort. Mais plusieurs d’entre eux confessent, en privé, que l’avenir de l’agriculture suisse se situe auprès des 500 millions de consommateurs européens. Et les spécialistes qui n’ont plus de charges officielles le disent ouvertement sur le site du Groupe pour une politique agricole offensive. L’avenir est à l’exportation car le petit marché suisse ne peut que s’étioler sous les coups de boutoir de l’OMC, des consommateurs qui achètent toujours plus de produits étrangers et des industries alimentaires à la recherche de matières premières meilleur marché.
Plusieurs pistes mènent au grand marché. Des exploitations plus grandes et donc plus rentables atténueront les effets de la baisse des prix. Berne pourrait accorder une aide sociale à la cessation d’activité des paysans. Un tel soutien, cela dit en passant, n’a jamais été décidé par le passé pour venir en aide aux boutiquiers ou aux artisans vaincus par la concurrence. D’autres mesures accompagneront l’ouverture des frontières comme la revalorisation des paiements directs ou la pression sur les coûts de production. Mais la voie royale vers le grand marché, c’est la qualité des produits. Il sera facile de trouver, parmi les consommateurs européens exigeants, des niches pour les produits du terroir, dotés, de surcroît, du célèbre label helvétique. L’agriculture suisse pourra aussi bénéficier de la demande insatisfaite de produits biologiques. Les recettes qui assurent depuis des décennies le succès de l’industrie d’exportation doivent également fonctionner pour l’agriculture.
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