Parlant le 31 janvier dernier devant un parterre de patrons genevois, Hans-Rudolf Merz n’a pas craint de détourner la première et célèbre phrase du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau: «L’homme est né libre et partout il est dans les fers». De ce bel alexandrin, le chef du département fédéral des finances donne une version fort indigeste, adaptée à la campagne référendaire actuelle: «L’homme entrepreneur est né libre, mais sa liberté entrepreneuriale est partout contrecarrée par les fers du fisc».
Passons sur la balourdise de la paraphrase et du néologisme choisi. Car il y a, pire que cette inélégance de formulation, une différence de fond qui interdit de mettre le citoyen de la Genève du siècle des Lumières au service de la réforme de l’imposition des entreprises II, que prône le grand argentier fédéral des années 2000 en vue de la votation du 24 février. L’égale et souveraine liberté de l’individu dont parle Rousseau n’a rien à voir avec la liberté de l’entrepreneur-contribuable. La première se présente comme un attribut inaliénable de l’homme en état de nature; c’est à lui seul que revient la faculté de consentir à la limitation de sa propre liberté, en vertu du fameux pacte social instaurant l’Etat de droit, démocratique et juste.
Dans cette perspective, l’imposition des entreprises – comme des personnes physiques d’ailleurs – compose un système certes contraignant mais en principe équitable, défini dans la loi; et fondé sur la réelle capacité contributive des assujettis, non pas en fonction des rapports de forces qui seuls prévalent dans l’état sauvage.
Vouloir faire sauter «les fers du fisc» au profit primordial de certaines catégories de contribuables, choisis parmi les mieux lotis, revient à privilégier leur soi-disant «liberté», en réalité leurs intérêts particuliers, au détriment de l’équité et de la non concurrence.
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