«Vous trouverez bien un juriste pour dire que l’essuie-main des toilettes est inconstitutionnel parce qu’il contient des bactéries». Avec cette comparaison délicate, Hans-Rudolf Merz compte enterrer les arguments juridiques soulevés par la quasi-totalité des professeurs de droit fiscal contre la réforme des entreprises.
C’est pourtant le grand argentier lui-même qui avait diligenté deux expertises au sujet de la constitutionnalité déjà douteuse des amendements apportés au projet du gouvernement par les Chambres (DP 1723). Les conclusions de ces avis aboutissaient à des résultats nuancés: l’Office fédéral de la justice apportait de sévères critiques tandis que le professeur Etienne Grisel estimait que le législateur fédéral bénéficiait d’une large marge d’appréciation.
Plusieurs spécialistes de droit fiscal vont désormais plus loin que l’avis de l’OFJ. Pour eux, la loi soumise à votation viole la charte fondamentale. En effet, la réforme va créer des inégalités de traitement sans fondement. Il ne s’agit pas de comparer des pommes et des poires: la situation de l’actionnaire ne doit pas être mise en balance avec celle du rentier AVS. Mais il y a inégalité de traitement injustifiée, et donc inconstitutionnelle, lorsque des personnes dans des situations semblables – des entrepreneurs avec un chiffre d’affaires comparable – paient des montants d’impôts très différents.
Actuellement – contrairement à ce qu’explique le Conseil fédéral aux électeurs – l’actionnaire important d’une PME organisée en SA qui se rémunère par le versement de dividendes ne paye pas plus d’impôts que l’indépendant organisé en raison individuelle ou que celui qui choisit de se verser un salaire. La fameuse double imposition économique des dividendes – une fois comme bénéfice de la SA, une fois comme revenu de l’actionnaire – n’a pas pour conséquence une charge fiscale plus importante. Dit plus clairement: l’imposition entière des dividendes est justifiée.
L’exonération partielle des dividendes va donc créer une inégalité de traitement injustifiée entre les entrepreneurs. Avec la réforme, l’actionnaire qui se paie en dividendes sera favorisé par rapport à l’indépendant soumis à l’AVS ou à celui qui est un salarié de sa propre société. L’analyse juridique corrobore ainsi la vision économique (DP 1764): le principal effet de cette réforme sera de créer une fuite vers le type d’entreprise – SA – et la forme de revenus – dividendes – favorisés. Puisque les entreprises verseront plus de dividendes et moins de revenus soumis aux cotisations des assurances sociales, celles-ci seront les premières victimes.
Deuxième contrariété: la loi instituerait une inégalité de traitement entre les actionnaires eux-mêmes selon qu’ils possèdent ou non plus de 10% des actions. Là aussi, rien ne justifie de traiter différemment ces deux groupes de contribuables. Sauf l’argument électoraliste de prétendre favoriser les patrons de PME plutôt que des investisseurs sans nom et sans visage.
Le débat juridique ne sera pas clos avec la votation. Le Tribunal fédéral doit se prononcer sur les recours déposés contre les lois cantonales acceptées en votation populaire à Zurich et à Bâle-Campagne (DP 1758). Une admission des recours pourrait contraindre le législateur à revoir sa copie, même en cas de vote positif du peuple. A moins bien sûr de considérer que la Constitution ne vaut guère mieux qu’un essuie-main.
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