Le premier ministre français évaluera ses ministres chaque trimestre. L’information, à vrai dire très lacunaire, a été diffusée par les médias, mais ne figure pas sur le site Internet du gouvernement. Premier constat: pour être crédible, une telle évaluation doit obéir à la règle de la transparence; les citoyennes et les citoyens ont le droit de connaître non seulement les résultats mais également les critères utilisés et la démarche méthodique.
L’évaluation, conduite par un cabinet privé, se basera sur une trentaine de critères et comparera les résultats obtenus avec les objectifs assignés à chaque ministre. Les rares informations disponibles au sujet des critères laissent songeur. Ainsi le ministre de l’éducation serait jugé entre autres sur l’ancienneté des enseignants en zones d’éducation prioritaires et sur le nombre d’heures supplémentaires effectuées par les enseignants. Le ministre de l’immigration répondra du nombre d’expulsions des résidents en situation irrégulière et d’admissions au titre du marché du travail. Sa collègue de l’économie se verra imputer le nombre d’heures supplémentaires des salariés, nombre qui devrait traduire le mot d’ordre présidentiel «travailler plus pour gagner plus».
A l’évidence les membres du gouvernement sont invités à faire du chiffre. Cette pression au rendement est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord le rythme trimestriel de l’évaluation est trop rapide pour apprécier les effets d’une politique qui se mesure plutôt sur le moyen terme. Le risque est alors que les ministres se concentrent sur des objectifs quantitatifs à court terme ne témoignant pas forcément d’une politique efficace. Et qu’ils se prévalent de succès qui ne relèvent pas de leur action. Ou au contraire qu’ils doivent endosser des résultats négatifs dus à une législation inadaptée. Ensuite les ministères seront tentés de produire des chiffres favorables. L’actuel président de la République a illustré les possibilités du tripatouillage statistique lorsqu’il dirigeait le ministère de l’intérieur. Enfin la démarche choisie ignore le point de vue des bénéficiaires des différentes politiques sur la base desquelles les ministres seront jugés, une lacune difficilement compatible avec l’exigence démocratique.
On ne peut reprocher à Nicolas Sarkozy et François Fillon de vouloir imposer une culture du résultat. La politique se contente trop souvent d’effets d’annonce qui ne trouvent aucune contrepartie sur le terrain. Mais une évaluation bâclée, basée sur des phénomènes isolés, risque de dévoyer l’action gouvernementale: la course aux résultats conformes à l’attente présidentielle ne constitue pas nécessairement une gestion publique raisonnée, coordonnée et durable.
Une telle démarche n’est pas imaginable en Suisse. Le président de la Confédération ne peut imposer une feuille de route à chacun de ses collègues. La responsabilité gouvernementale est collective. Et encore trouve-t-elle ses limites dans les décisions d’un parlement qui n’est pas aux ordres. C’est pourquoi l’évaluation porte sur les politiques publiques et non sur les magistrats. Les familiers de l’approche évaluative savent que les résultats observables sur le terrain relèvent de multiples facteurs, la volonté d’un ministre n’étant de loin pas le plus important.
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