Patron milliardaire, il se présente comme un humble missionnaire proche du peuple des fidèles; paysan professionnel puis grand industriel mondialisé, il s’oppose aux subventions à l’agriculture comme à toute aide publique à l’exportation; député pendant une demi-douzaine de législatures dans les conseils au niveau local, cantonal puis national, il fait sien l’antiparlementarisme viscéral des populistes qui se méfient de toute démocratie indirecte. Telle est la pensée blochérienne: délibérément contradictoire et provocante jusqu’au mépris de la logique et de tous les publics dotés d’un esprit critique.
Mais on ne peut durablement à la fois faire serment de respecter la loi et en donner une lecture biaisée. Docteur en droit, chef du département fédéral de justice et police, Christoph Blocher aura pris, pendant ses quatre longues années de contre-emploi, trop de libertés avec les lois et les institutions, les principes (sauf les siens) et les usages, pour ne pas mériter une bonne et dure punition, comme on les pratique dans les milieux protestants de stricte obédience. La voilà donc administrée, par ceux-là même qui n’ont jamais accepté son idéologie, ni surtout son style.
Un style agressif, provocateur, arrogant, moqueur, aux antipodes du respect d’autrui et de l’ouverture au compromis. Le style brusque d’un meneur, d’un chef de clan, d’un ploutocrate, pas d’un gouvernant élu dans une Suisse qui déteste tous ceux qui veulent joindre autorité et vitesse, au mépris du pragmatisme tous terrains comme de la lenteur démocratique.
Partie intégrante du style, le langage le traduit bien, en mots et en images. Les adversaires sont systématiquement disqualifiés, leurs idées ridiculisées, leurs meilleures intentions dévalorisées. Les agrariens des années huitante considéraient les écolos des champs et les Sozis des villes comme de dangereuses nuisances. Auront ainsi successivement passé pour «hystériques», dans le discours de l’UDC et de son organe officieux Die Weltwoche, ceux qui ont dénoncé les pluies acides, les pollutions planétaires, les changements climatiques, les dangers liés à la détention d’armes d’ordonnance à domicile. Inversement, les mêmes «démocrates du centre» et leurs proches crient promptement au scandale chaque fois qu’ils croient détecter des abus en matière d’aide sociale, de politique de l’asile ou de comportement des immigrés. Quant aux mots évocateurs, à même de réveiller ou de susciter des peurs tapies au cœur des patriotes inquiets, ils sont ressassés jusqu’à l’usure, avec toujours l’effet de contraste implicite: arme blanche contre fusil-mitrailleur, poignard dans le dos contre lutte à la culotte, mouton noir contre laine nature, minaret de banlieue contre clocher du village, etc.
Le tout peut marcher et tenir lieu d’argumentation électorale de poids dans des scrutins à la proportionnelle, comme on l’a vu le 21 octobre dernier. En fait, dès qu’interviennent les exigences du système majoritaire, les risques d’échec se font bien réels. En témoignent les tout récents scores de MM. Ueli Maurer à Zurich et Christoph Blocher à Berne.
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