Je me souviens d’un reportage de Paris-Match, morceau d’anthologie pour école de journalistes. Il avait pour sujet une négociation âpre entre les ministres des affaires étrangères allemand et français. Les deux hommes allaient s’affronter seuls en tête à tête, sans interprète, notait le reporter. Il présentait: «La porte se referma sur eux. D’emblée le ministre allemand déclara …».
Le mercredi 12 septembre, l’huissier referma la porte de la salle des délibérations du Conseil fédéral. D’emblée … Le porte-parole du Conseil fédéral qualifia la discussion de dure et ouverte, adjectifs qui traduisent une empoignade sévère. Les observateurs jugèrent les participants physiquement éprouvés. C’est que la décision prise de nommer un professeur de droit pour établir et apprécier le comportement d’un des leurs critiqué par le rapport de la Commission de gestion est sans précédent, révélatrice d’une méfiance totale, preuve d’un Conseil fédéral éclaté.
Pourtant les Conseillers fédéraux, au plus fort de la vague de répulsion que provoquait la propagande cynique de l’UDC, s’efforçaient de préserver le collège. Ils disaient combien le procédé les «dégoûtait», mais ostensiblement, telle Calmy-Rey, ils feignaient de croire que Christoph Blocher ne l’avait pas approuvée, alors même que ces provocations étaient dans le droit fil des campagnes référendaires qu’il avait dirigées comme président de son parti. Cette retenue, ce souci de ne pas donner des sept, réputés sages, l’image de chiffonniers se battant, a cédé le 12 septembre, quand après une discussion «dure et ouverte» a été désigné le professeur Georg Müller.
Audit
Qu’un juriste, un ancien magistrat, un expert à l’indépendance non contestée se voie confier une mission d’enquête, chargée d’établir les faits et de les apprécier, c’est chose banale dans l’administration publique. Le chef de département ou le collège a souvent besoin d’un regard extérieur et impartial.
Le parlement peut aussi, lorsque l’affaire est d’importance et implique l’autorité politique elle-même, nommer une commission parlementaire d’enquête. Il y en eut de célèbres. Toutes ces procédures font partie du jeu naturel du contrôle de l’administration par l’exécutif et du contrôle de l’exécutif par le Parlement.
L’affaire du Ministère public et la démission forcée de Valentin Roschacher est d’une autre nature. Le conseiller fédéral critiqué peut et doit donner à ses collègues, et notamment au président qui répond devant les deux chambres de la gestion du Conseil fédéral, tous les renseignements utiles. Mais dans le cas particulier on constate que le Conseil fédéral n’a pas été informé par Christoph Blocher de décisions antérieures prises. Le collège ne saurait donc, au vu de ces omissions, se contenter des explications que le chef du département doit lui fournir. De même, les appréciations de l’office de la justice ne pourront en l’occurrence le satisfaire, sachant que ses avis de droit seront contrôlés par l’autorité politique dont il dépend, soit Christoph Blocher qui serait juge et partie. Le Conseil fédéral n’est donc pas en mesure de juger en ayant en main toutes les pièces du dossier. Il est dans l’obligation de recourir à une autorité extérieure, c’est-à-dire de procéder à un audit sur la gestion d’un collègue.
A relever que le rapport Müller et la prise de position du Conseil fédéral seront connus avant le renouvellement du Conseil fédéral.
La casse
Il serait légitime d’attendre, pour juger, le rapport du professeur Müller. Mais le seul fait qu’il ait été commandé révèle un tel état de méfiance qu’il est justifié de demander dès maintenant que ne soit pas reconduit un Conseil fédéral éclaté. Le 12 septembre, derrière les portes closes, le Conseil fédéral a pris une décision publique que devrait sanctionner la non-réélection de Christoph Blocher.
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