C’est devenu une tradition, comme le classement annuel de la compétitivité des pays et des plus grandes fortunes. En juin, le syndicat Travail.Suisse publie les rémunérations des dirigeants des vingt-huit plus grandes entreprises suisses et l’écart entre hauts et bas salaires au sein d’une même firme. La tendance se confirme: l’appétit des directions ne semble pas connaître de limite. L’an passé, ces dirigeants ont bénéficié d’une augmentation moyenne de 19%, alors que les employés ont dû se contenter d’une hausse réelle de 0,1%. OC Oerlikon et Credit Suisse se distinguent dans la démesure, le premier avec une hausse de 223% pour son directeur général, le second avec un rapport de 1 à 674 entre le salaire le plus bas et le plus élevé.
Cette appropriation unilatérale de la plus-value ne peut que miner la confiance des salariés et du public en général dans le système économique. Par ailleurs elle ne résiste pas à l’analyse économique classique, celle dont précisément se prévalent ces barons de l’économie. On connaît les arguments avancés pour justifier ce grand écart. Sur un marché du travail globalisé, il faut offrir des salaires attractifs pour attirer et garder les meilleurs dirigeants. Et un niveau élevé de rémunération pousse ces dirigeants à améliorer les performances de leur entreprise, niveau élevé qui à son tour ne fait que traduire leur succès.
La référence à un prétendu marché du travail masque mal une réalité plus crue: la fixation des rémunérations se fait en petit comité et en toute opacité par des personnes qui ont elles-mêmes intérêt à cette spirale salariale, et non pas sur un marché. D’autre part, la pyramide des salaires traduit un présupposé sans fondement dans la réalité, à savoir que le directeur général contribue plus que ses cadres, et ces derniers beaucoup plus que le personnel à la bonne marche de l’entreprise. Un présupposé contredit par les études sur le fonctionnement des organisations qui toutes mettent l’accent sur l’importance de l’esprit d’équipe et l’identification du personnel à l’entreprise. Quant à l’incitation à faire mieux, pourquoi donc des augmentations sont-elles accordées même lorsque les résultats se révèlent médiocres? De plus on connaît les dérives provoquées par ce système: pour maintenir, voire augmenter leurs rémunérations, des cadres dirigeants n’ont pas hésité à manipuler les résultats comptables, ou ne visent qu’une croissance à court terme, parfois au détriment de la survie à long terme de l’entreprise.
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