En instaurant et en maintenant par la terreur la dictature du parti unique, les régimes communistes n’ont proposé qu’une sinistre caricature du socialisme. Faut-il pour autant rejeter les valeurs et les conquêtes du mouvement socialiste?
A gauche aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui vouent aux gémonies le libéralisme, accusé de toutes les injustices. Néo- ou ultra-, le libéral est l’adversaire désigné; adjectival, le terme équivaut à une injure. C’est oublier que cette philosophie politique est à la source de la démocratie moderne. C’est aussi légitimer les écoles et partis qui, sous couvert de cette étiquette, justifient la loi du plus fort et l’exclusion sociale.
Pour Eduard Bernstein, l’un des pères de la social-démocratie, le socialisme apparaît comme un prolongement, voire même un achèvement du libéralisme: «En tant que mouvement d’importance historique, le socialisme n’en est pas seulement chronologiquement, mais aussi par son contenu spirituel, l’héritier légitime», notait-il en 1899 dans son œuvre majeur Les présupposés du socialisme et les devoirs de la social-démocratie. En somme le libéralisme a posé les principes, établi les valeurs et il revient au socialisme de les mettre en œuvre.
Le libéralisme, comme philosophie, doctrine politique et même théorie économique, vaut mieux que le corpus ratatiné de slogans véhiculé par ses thuriféraires contemporains. C’est lui qui affronte le pouvoir monarchique et celui de l’Eglise en leur opposant le gouvernement des lois, cette loi qui protège de la violence et de l’Etat tout-puissant. C’est lui encore qui proclame les libertés individuelles et revendique la séparation des pouvoirs. Aucun démocrate ne voudrait renoncer aujourd’hui à ces conquêtes.
Oui mais, rétorquerez-vous, c’est au libéralisme économique que nous en avons, à cette liberté économique qui légitime l’écrasement des plus faibles par les forts, à cet affaiblissement systématique de l’Etat au nom de la liberté individuelle. Cette liberté sans limite, ce mépris pour les interventions publiques sont étrangers au libéralisme économique classique. Adam Smith postule bien un ordre naturel du marché qui produit une amélioration progressive du niveau de vie général. Mais pour lui, le marché ne fonctionne pas dans un vide social. L’Etat édicte non seulement les règles du jeu – par exemple, il combat les restrictions à la concurrence, ce qui montre bien que la concurrence n’est pas inscrite dans les gènes humains. Il effectue les tâches de formation, d’infrastructures, de rééquilibre social sans lesquelles il n’y a pas de société libre, donc pas de marché.
C’est aux libéraux du 20ème siècle que nous devons cette conception réductrice du libéralisme qui conduit à l’affaiblissement des droits et libertés individuels, à l’effacement de l’Etat régulateur et finalement à la disparition de ce marché dont ils prétendent être les hérauts. Avec la conséquence de l’avènement de ce capitalisme voyou, prédateur, qui met en péril les bases écologiques et sociales du libéralisme économique et politique.
Plutôt que de honnir le libéralisme, la gauche, parce qu’il s’agit de son héritage, doit affronter ceux qui en dévoient les principes fondateurs. Et militer pour la solidarité et la réduction des inégalités dans la perspective de l’objectif fondamental du libéralisme, la conquête de l’autonomie individuelle.
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