Les choix des grandes démocraties sont un champ d’observation sans cesse renouvelé. Se pratique sous nos yeux une politique en quelque sorte expérimentale, dont on peut évaluer les enjeux et les résultats. Le système présidentiel que connaît la France, qui voit les candidats parler à la première personne: «je déciderai» («je» pour les discours, «ensemble» pour les affiches), permet de mesurer la portée de la promesse électorale.
Donc le candidat Nicolas Sarkozy a tenu à exalter le travail. Il en a fait une valeur morale. Et il en a donné une transcription pratique: «travailler plus pour gagner plus». Encore fallait-il passer du slogan à la feuille de paie, ou plus précisément au revenu net. Il a donc annoncé-promis que les heures supplémentaires, calculées à partir de 35 heures et payées 25% de plus que le salaire de base, ne seraient pas imposables. Le patron, parallèlement, est exonéré sur ces heures-là de charges sociales. Fiscalement et socialement ces heures disparaissent. C’est un travail au noir officiel.
Il a fallu attendre le terme de la campagne électorale, le président étant désigné, pour que soit posée la question de la constitutionnalité de cette disposition. Elle viole ouvertement l’égalité de traitement. Deux travailleurs disposant du même revenu, l’un l’atteignant avec heures supplémentaires et l’autre sans, ne seraient pas soumis au même impôt. Ou encore un travailleur à temps partiel, décidé à travailler plus et passant à un horaire plein, n’obtiendra aucun avantage alors que le même effort bénéficiera à celui qui part d’un horaire complet.
Une autre promesse du candidat Sarkozy appelle les mêmes objections. Il s’agit du taux plancher de la sanction pénale frappant les récidivistes et les multirécidivistes, coupables de crimes passibles d’au moins dix ans de prison. L’auteur serait frappé automatiquement de 50% de la peine maximale à la deuxième infraction, de 75% à la troisième, de 100% à la quatrième. Or les pénalistes sont catégoriques. Dans un procès pénal l’acte est jugé mais aussi la personne. Toute automaticité de la peine est anticonstitutionnelle.
En deçà du Jura
Se trompe celui qui croit que ces problèmes ne concernent que la France en raison de sa dérive bonapartiste. La conseillère de Nicolas Sarkozy, chargée de mettre en place le dispositif pénal, a fait cette réflexion (Le Monde, 12 mai): «Ce dispositif nous paraît compatible avec la Constitution. Sinon on réformera la Constitution».
Cette formule ne vous rappelle-t-elle rien? Christoph Blocher, à propos du jugement du Tribunal fédéral condamnant la naturalisation par le peuple, avait lancé: «Inconstitutionnel? Alors on modifiera la Constitution». Les règles de droit gênent les tribuns. D’où le même réflexe: s’appuyer sur la légitimité supérieure du vote populaire, qui en France élit le président et une majorité parlementaire à sa botte. En Suisse par le recours à l’initiative populaire pour autant qu’elle rencontre une majorité du peuple et des cantons. Bonapartisme français et populisme UDC, même démarche, dévoyant la démocratie et l’Etat de droit.
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