Il est de retour le joli mois de mai. Au moment où la génération des soixante-huitards part à la retraite, son idéologie est réactivée pour servir de repoussoir. Nicolas Sarkozy, au terme de sa campagne présidentielle, en a fait une critique caricaturale pour mieux marquer la rupture non pas avec le radical-socialisme de Chirac, mais avec le politiquement correct de toute une génération.
Coupable, Mai 68, d’avoir exalté la jouissance immédiate quand les vraies valeurs sont le travail et l’effort qui révèlent le mérite. Coupable, Mai 68, d’avoir promu une pédagogie refusant la note, la sélection, snobant les richesses du patrimoine culturel. Harry Potter plutôt que Voltaire. Jusqu’à ce point du discours, rien d’original. Ce sont, depuis longtemps, les rengaines des bretteurs de la droite, ignorant souvent la réalité du terrain scolaire et méconnaissant le travail des enseignants. Coupable, Mai 68, des excès du capitalisme financier. Et là on change de registre. Extrait du discours de Bercy (Libération, 4 mai): «Voyez comment le culte de l’argent roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portées par les valeurs de Mai 68». Ce mouvement tournant pour attaquer les gauchistes sur leur gauche est plus qu’un effet d’estrade. Alors que personne n’ignore les liens personnels de Sarkozy avec les représentants du capitalisme français, dont quelques-uns se trouvaient à Bercy pour lui apporter physiquement leur soutien, et qui se trouveront récompensés par l’abaissement à 50% du bouclier fiscal (cette formule, dégradant l’impôt, est en soi un programme), la charge contre Mai 68 est une manière facile de se défausser, populiste.
On ne refera pas ici l’histoire de Mai 68, son apport révolutionnaire et aussi son intégration dans la société post-industrielle. Sous les pavés, le Club Med. Mais on s’attachera à ce qui fut le déclencheur du mouvement, son inspiration originelle, à savoir le refus de l’autorité universitaire, du mandarinat,du dogmatisme et de la centralisation. En 1969, de Gaulle voulut transformer institutionnellement le besoin d’autonomie qui s’était si fortement exprimé. Il proposa une réforme en trois volets: participation des travailleurs dans les entreprises, réforme du Sénat, régionalisation. Le tout fut soumis à référendum. De Gaulle le perdit et démissionna. Malgré les premiers pas vers la décentralisation dus à Gaston Defferre, la France reste par excellence le pays jacobin et bureaucratique, quand on la compare à tous ses voisins: Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie. La France de 2007 est un pays où la méthode d’apprentissage de la lecture est décidée pour toute la nation par le ministre de l’Education nationale qui fait connaître sa décision, à l’intention du corps enseignant, par lettre circulaire.
Or ce pouvoir centralisé est renforcé encore par l’élection présidentielle. Le candidat multiplie les promesses: si je suis élu, je ferai… Cette centralisation sera renforcée encore par la manière dont Sarkozy veut gouverner, intervenant personnellement et ouvertement. Dans l’histoire politique française, ce style, en partie populiste, renvoie à la tradition bonapartiste. Nicolas Sarkozy en a la taille et l’on ne s’étonnera pas qu’il aille se ressourcer en Corse.
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