La Suisse est un îlot de vie chère. Pour faire baisser les prix, des commerçants «non orthodoxes» s’efforcent, en toute légalité, d’acheminer en Suisse des produits achetés à l’étranger sans passer par les canaux de distribution traditionnels. C’est ce qu’on appelle les importations parallèles. Les choses ne sont pas toujours simples. Les fabricants étrangers préfèrent passer par leur importateur officiel avec qui ils s’entendent pour fixer les prix et les marges. L’importateur parallèle a donc parfois de la peine à se faire livrer. Mais au-delà de ces handicaps qui tiennent aux pratiques commerciales, il y a des obstacles qui tiennent à la législation sur les brevets. Et ce sont justement ces obstacles que le Conseil fédéral refuse de lever.
En déposant un brevet, un fabricant se protège des contrefaçons. C’est pleinement légitime. Il obtient en outre le droit exclusif de décider dans quel pays, à quel moment, de quelle manière et à quel prix il entend commercialiser son produit. Lorsqu’il a introduit son produit dans un pays aux conditions qu’il a dictées, le détenteur du brevet ne peut changer sa pratique commerciale. On dit qu’il a épuisé son droit. C’est le système de l’épuisement national. En revanche, le fabricant conserve le droit de faire ce qu’il veut sur un autre marché. Il pourra donc fixer des prix différents d’un pays à l’autre et garantir ce système en interdisant les importations parallèles. Ainsi, un fabricant européen d’engrais pourra imposer en Suisse un prix majoré de 40 %. L’importateur sauvage qui tenterait de s’approvisionner à l’étranger pour casser les prix serait traîné devant les tribunaux.
Une libéralisation radicale consisterait à adopter l’épuisement international d’un brevet. Une fois le produit commercialisé dans un pays, il le serait aux mêmes conditions sur l’ensemble des marchés internationaux. Ce système aurait l’inconvénient d’empêcher, par exemple, d’octroyer des conditions plus favorables pour un médicament dans le tiers monde. Le danger de réexportation serait très grand. Fervent adversaire des importations parallèles, Christoph Blocher, ne veut pas que la Suisse s’aligne sur les «pays africains ou sur les pays pirates d’Extrême Orient». Mais il semble oublier la solution appliquée par les pays européens qui ont une protection des brevets analogue à la nôtre.
L’Europe de Bruxelles a adopté le principe de l’épuisement régional. Le détenteur du brevet épuise sa protection lorsqu’il met son produit en vente dans le marché unique que forment les 27 pays et leurs 450 millions de consommateurs. Il y a donc un monde entre l’épuisement national qui est la règle en Suisse et l’épuisement régional en vigueur dans le reste de l’Europe. La solution, pour Berne, serait de négocier notre participation au système européen des brevets. C’est ce que prévoyait l’accord sur l’EEE de 1992. Mais à aucun moment la Suisse n’a demandé, par négociation bilatérale, de rattraper cet avantage et de permettre librement les importations parallèles. Une telle négociation poserait des problèmes institutionnels. Un litige concernant l’application du système européen des brevets devrait être tranché par une instance d’arbitrage et il est fort probable que l’UE exigerait que ce soit la Cour européenne. Mais il y a plus. Le Conseil fédéral ne veut pas prendre l’allure d’un quémandeur alors qu’il refuse toute négociation sur le contentieux fiscal avec Bruxelles. En outre, et c’est probablement l’essentiel, l’importation parallèle de produits brevetés en provenance de l’Europe toucherait prioritairement le secteur pharmaceutique. Berne serait alors contrainte, par ricochet, de baisser le prix des médicaments. Interpharma fait tout pour l’éviter. Pour l’instant avec succès. Mais le parlement devra aussi se prononcer.
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