Les journaux à l’écran restent un pari, l’écran transformé en journal fait un tabac. 20 Minutes et Le Matin bleu annoncent deux cent mille lecteurs et plus. Incapables de choisir, les consommateurs de nouvelles consultent les deux titres sans trop se formaliser. Un entrefilet par-ci, un pavé par-là, on surfe sur les pages, à travers les pages, de l’un et de l’autre. D’ailleurs, les sujets et les rubriques semblent se mélanger sans queue ni tête. La lecture, proche du balayage, zigzague au gré d’une photo aguichante ou d’un chapeau cassant. On ouvre le journal au milieu, on commence par la fin ou par la une, sinon carrément au hasard. Peu importe ! Il est toujours possible de revenir. Le format et le nombre de feuilles permettent toutes les manipulations, avant de s’en débarrasser. Bref, ça va vite, à tort et à travers, dans une accumulation de pop-up importés directement du web, la souris en moins.
Les gratuits ressemblent à un portail Internet, à l’image des chaînes d’information à la télé où s’affichent, défilent, clignotent quantité d’éléments, d’objets, de signes incrustés sur l’image principale, réduite souvent à un petit carré anecdotique. Les jeunes lecteurs surtout, de 15 à 35 ans – la tranche d’âge pourchassée par communicateurs et vendeurs en tout genre – retrouvent ainsi un environnement familier d’un seul coup d’œil. Un terrain de jeu, ludique et convivial, parfaitement dans l’air du temps, dépourvu de hiérarchie évidente, de chemins balisés, de mode d’emploi contraignant. C’est l’horizontalité qui s’oppose à la verticalité, poussée aux marges du monde et de l’expérience.
Le désordre apparent, gage de spontanéité et de réalité, qui saute à la figure des lecteurs-internautes, l’accumulation presque festive, même quand elle brasse sang et pornographie, la liberté sans prix de circuler d’un fait-divers à une statistique, livrés dans leur plus simple appareil, dépendent en revanche d’un système de financement restrictif et rigide. Tout le contraire du produit. Les recettes publicitaires dictent les budgets et les éditeurs veulent gagner de l’argent. Les chiffres l’emportent sur toute autre considération. Finalement, 20 Minutes et Le Matin bleu sont des supports malléables dans les mains des annonceurs. Une caisse de résonance de plus en plus similaire, en cela aussi, à Internet, pris au piège d’une gratuité qu’il faut bien payer. La presse, quand elle brade son métier. Les lecteurs, quand ils préfèrent «télécharger» (download) le monde plutôt qu’écouter ses histoires.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!