Au Musée des Beaux-Arts
de La Chaux-de-Fonds, qui vaut le détour, on ne peut ignorer que l’Art
nouveau est passé par là. Charles L’Eplattenier en a conçu dans ce
style l’entrée, les volumes, des décorations. Mais l’exposition
remarquable consacrée à l’art nouveau dans la ville horlogère révèle un
phénomène d’une tout autre dimension. Non pas seulement des touches de
réalisation disséminées, comme on en cherche à Bruxelles, à Riga, à
Barcelone, mais une incorporation de l’art nouveau à tout le
développement économique, industriel, urbanistique, artistique, d’une
cité en expansion.
Les succès de La Chaux-de-Fonds impressionnaient déjà Karl Marx, menant
dans Le Capital une réflexion sur la manufacture et le développement du
capitalisme : la diversité des composants d’une montre rendait possible
la parcellisation du travail sans concentration des ouvriers dans une
même fabrique. Il note que La Chaux-de-Fonds «que l’on peut regarder
comme une seule manufacture» fournit deux fois plus de montres que
Genève. Or une montre, c’est à la fois une mécanique de précision et
une œuvre d’art, notamment le boîtier, orné de motifs, émaillé. En même
temps que s’étire la ville, selon ce plan longitudinal et orthogonal
qui la caractérise, le besoin d’une école professionnelle des arts se
fait sentir en complément au savoir-faire industriel. Elle est réalisée
sous l’impulsion de L’Eplattenier. Mais il ne se contente pas de
reprendre les standards de l’art (nouveau) de son temps. Il les adapte
aux spécificités jurassiennes, le sapin triangulaire, la pive, plus
austères que les décorations florales à la mode (nouvelle). Les dessins
de Le Corbusier, s’exerçant à aligner des sapins, comme un motif
décoratif, méritent à eux seuls la visite. Et il faut aussi admirer des
créations de meubles originales.
En réalité la démonstration est celle de la vitalité créatrice d’une
ville. L’exposition ne va pas jusqu’à englober le mouvement coopératif
et la montée du socialisme. Ils ont pourtant, on le sait, fait partie
du même élan inventif et porteur.
A notre époque de cloisonnement entre l’art, l’industrie, le design,
l’architecture, cette évocation du développement synthétique d’une
ville laisse nostalgique et admiratif.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!