Mein
name ist Eugen de Michael Steiner s’achève à bord d’un vol Swissair.
Là, où s’épuisait la nostalgie de Grounding du même réalisateur :
dans un ciel immaculé habité par les avions de l’ancienne compagnie
«nationale». Nostalgie conquérante d’un temps seulement fantasmé par le
cinéaste proche de la quarantaine. Alors l’horizon peut s’étirer à
l’infini et remplir l’écran en cinémascope. Car Hollywood – le versant
euphorique, insouciant de la mélancolie made in Switzerland – hante
cette aventure simple comme une histoire d’enfants à la poursuite du
roi des fripouilles, explorateur hors pair, bien avant Indiana Jones ou
Harry Potter. Ainsi le scénario traduit, adapte, malaxe le livre à
succès de Klaus Schädelin, publié en 1955 à Zurich. Frère de Heidi,
vis-à-vis du petit Nicolas parisien, Eugen ravit les Suisses
alémaniques d’après guerre comme les citadins d’aujourd’hui adeptes du
globish. En 50 ans, il s’en est vendu 200 000 copies. Et ça continue au
rythme d’un ou deux milliers par année. Bref un livre populaire pour
une pellicule populaire.
La cavale de quatre enfants – Eugen, Franz, Edouard et Bäschteli,
autrement dit le conteur qui s’annonce et se raconte, le rêveur un peu
casse-cou un peu don juan, le gros inusable et le petit pleurnichard,
pris au jeu des caractères contraires et complémentaires, comme dans
toute comédie digne de ce nom – célèbre la vitalité volcanique de
l’adolescence dans la joie cinéphile d’une production prête à tout.
Lancé dans un tour de Suisse bancal – de Berne au Tessin, au cours d’un
va-et-vient compulsif sur les rampes du Gothard, pour atteindre Zurich
suivant une géographie du détour, à mille lieues des transversales en
ligne droite, Mein Name ist Eugen use et abuse du cinéma. Si l’histoire
piétine le vrai et le faux, le film mélange les genres, retourne les
regards, contamine les formules. Le raccourci fait merveilles, le
roman-photo chasse le plan séquence, l’animation envahit la chair des
comédiens, la miniature singe la nature, le ralenti se moque de sa
mauvaise réputation et Zurich peut se métamorphoser en Los Angeles, le
temps d’une plongée nocturne tellement, Metro Goldwin Mayer.
Et puis il y a la Suisse, impossible comme une contrefaçon. Surtout
dans sa version romande, avec des langues et des accents collés à tort
et à travers sur les Bernois, les Zurichois et les Tessinois qui
peuplent le longmétrage. Sans parler des années soixante, cadrées au
plus près du mythe – bien-être et consommation de masse au cœur des
Alpes, gardiennes de la patrie – une fois gommé le pays de la
surchauffe, de l’immigration, de la formule magique et de la paix du
travail. Finalement, le film épouse l’action – des corps bandés et un
récit pyrotechnique – et s’y tient jusqu’à la fin, multipliée, différée
habilement pour faire durer le plaisir. Car nous sommes tous de grands
enfants.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!