Après une législature 2003-2007 plutôt désastreuse pour le Conseil
fédéral et à peine plus glorieuse pour les Chambres, les élections de
l’année prochaine pourraient bien réserver quelques surprises. En
particulier, le renouvellement de l’Exécutif en décembre 2007 s’annonce
plus hasardeux que jamais. De quoi provoquer enfin des changements dans
les modes de désignation et de vie en commun des sept personnes
autrefois dites sages.
A qui profite l’actuel système d’élection au Conseil fédéral ? Aux
médias tout d’abord, qui ont de quoi faire toutes sortes de mises en
scène impliquant des acteurs plus ou moins à l’aise dans les rôles
attribués. Aux membres de l’Assemblée fédérale ensuite, qui ont
périodiquement l’occasion d’exercer leur pouvoir de grands électeurs et
de faire croire qu’ils «votent sans instruction», comme le leur
prescrit la Constitution.
A quoi sert le système d’élection au Conseil fédéral ? A permettre aux
Chambres réunies de désigner individuellement, au terme d’une
succession d’aléas qui culmine dans le spectacle final d’une matinée
électorale très médiatisée, les sept personnes qui formeront l’Exécutif
fédéral et dirigeront chacune leur propre «ministère», modestement
appelé département.
En apparence donc le système fonctionne, et mieux qu’ailleurs comme
aiment à l’observer les Suisses. Sauf que la dramaturgie se fait de
plus en plus folle à chaque élection et que les couacs se multiplient :
non élection de la personne désignée par le groupe politique dont elle
émane (de Liliane Uchtenhagen en 1983 à Christine Beerli en 2003),
refus de son élection par la personne désignée (Francis Matthey en
1993), non réélection d’un membre de l’Exécutif (Ruth Metzler en 2003),
démission inattendue, volontaire ou pas (Rudolf Friedrich en 1984,
Elisabeth Kopp en 1989, Otto Stich en 1995, Joseph Deiss en 2006).
Certes ces incidents ne sont pas inhérents au système. Mais, par-delà
les circonstances personnelles auxquelles s’arrête volontiers la
presse, ils illustrent les dysfonctionnements de l’institution
elle-même. Formé de sept personnalités tirant chacune leur légitimité
d’une élection individuelle, le Conseil fédéral est devenu un simple
comité de dirigeants et ne constitue plus un Exécutif dont les membres
se sentent liés par les pratiques bien helvétiques de la collégialité
ou de la concordance. L’une et l’autre ont éclaté sous la pression
conjuguée de la personnalisation favorisée par les médias et de
l’invasion grandissante de l’esprit de compétition, qui n’inspire
désormais plus seulement les mondes du sport et des affaires.
Pour restaurer le minimum de cohésion nécessaire à une autorité
collégiale qui se veut efficace et convaincante, les propositions
affluent, venant de la science et de la politique, auxquelles le
Conseil fédéral lui-même réagit avec toutes les réticences d’une
corporation très minoritaire, attachée à la défense de son statut
exceptionnel.
En matière institutionnelle, les réformes ont peu de chances dans une
Confédération qui se sent si bien pensée et pratiquée qu’elle se croit
intouchable – au risque d’en périr à terme. La moindre idée nouvelle
passe pour «unschweizerisch», disqualification intraduisible qui sonne
comme une condamnation immédiate et définitive. Ainsi des listes
bloquées pour l’élection au Conseil fédéral, telles que proposées par
le Centre pour la réforme des institutions suisses (CRIS), relayé en
l’occurrence par une initiative parlementaire de Christa Markwalder, la
jeune et courageuse conseillère nationale radicale bernoise qui vient
de reprendre les rênes du mouvement pro-européen Nomes.
Le sort de cette initiative paraît pour le moins incertain. Il
n’empêche : le débat est désormais grand ouvert et débouchera pour 2011
sur une réforme, partielle mais significative, du système d’élection et
du style de travail au Conseil fédéral. Pour trouver une majorité dans
ce sens, il aura fallu frôler le chaos et subir Christoph Blocher,
puissant révélateur : son élection en 2003 reflétait un changement de
climat, son action depuis lors a démontré que les institutions
helvétiques n’étaient nullement immunisées contre l’extrêmisme
néolibéral ni le populisme bon marché. Dommage pour le temps perdu, la
confiance entamée et l’énergie gaspillée.
Elire une équipe
Le CRIS propose d’introduire le scrutin de liste compacte. Pour y
participer, chaque liste doit comporter les noms de 7 personnes
éligibles, dont 2 au moins émanant des minorités linguistiques, et
obtenir le soutien de 30 parlementaires. Au premier tour, la majorité
absolue est requise. Si aucune liste ne passe la barre des 50%, les
deux listes qui ont obtenu le plus de suffrages s’affrontent dans un
second tour. Ces deux listes sont susceptibles de changement : chacune
d’elles peut accueillir au maximum trois personnes ayant figuré sur des
listes éliminées au premier tour. Les listes modifiées requièrent le
soutien de 45 parlementaires. La liste qui obtient le plus grand nombre
de suffrages forme alors le Conseil fédéral. Tant la composition
initiale que l’éventuel remaniement des listes en vue du deuxième tour
résultent de négociations entre les partis et les groupes politiques,
qui devraient se montrer soucieux de proposer des équipes
représentatives des forces de concordance, à la fois diverses et
viables.
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