Fabricants de métropole
Observer les gens qui votent avec leurs roues, celles de véhicules
privés ou collectifs. Admettre que les contours d’un territoire se
dessinent par les mouvements de ceux qui le parcourent. Considérer que
la mobilité fluidifie les institutions et les frontières d’«ancien
régime». Prétendre que les préoccupations, les comportements et les
mentalités prennent une avance décisive sur la politique, la loi et la
démocratie, lesquelles peinent irrémédiablement face aux réalités
nouvelles. Préconiser enfin qu’au gouvernement par les seuls élus soit
substituée une «gouvernance» fonctionnant à l’échelle territoriale,
avec des représentants de l’économie et de la société civile. Telle est
la recette des auteurs réunis par Xavier Comtesse sous l’égide d’Avenir
Suisse qui, tout à la fois, veulent mettre Le feu au lac et progresser
Vers une Région métropolitaine lémanique (1).
Videz le Léman, qu’on voie la région
Vous n’en aviez pas pris conscience ? Yverdonnois, Chablaisiens,
Hauts-Savoyards, Gessiens, habitants de tous les bords du Léman, vous
viviez dans une région métropolitaine sans le savoir ? Apprenez donc
enfin que vous n’êtes pas moins d’un million et demi à résider dans un
territoire grand comme New York, Londres ou Paris, peuplé comme Zurich,
Amsterdam ou Glasgow – en moins dense évidemment. Et sachez que si vous
habitez Aubonne, Lonay-Venoge, Plan-Perly ou Villeneuve, vous vous
trouvez dans l’une de ces «edge-cities» qui, aux abords des grandes
villes, captent les emplois tertiaires traditionnellement localisés
dans les centres.
Et pour vous aider à bien saisir combien vous avez sort lié – même si
le deuxième plus grand lac d’Europe vous sépare davantage qu’il ne vous
unit – il n’est que de vider le Léman ou, plus simple, d’en coudre les
rives par la grâce du photos-montage : ONU-Cologny, Gland-Yvoire,
Lausanne-Evian, l’Hôtel Royal collé au bas du Lavaux (les eaux dans le
vin), Montreux au pied des Cornettes de Bise. Autant de gags
géo-photographiques plus médiatiques que signifiants, en dépit des
citations littéraires bien choisies qui les accompagnent.
Autant de formulations voulues frappantes et branchées mais en vérité
dangereusement hâtives, approximatives, jargonnantes. La première
phrase du livre donne le ton : «La mondialisation a aussi pour effet un
renforcement de la compétitivité entre les régions urbaines». Pourquoi
diable bannir les termes de compétition ou concurrence, justes et
adéquats l’un et l’autre ?
Rasez la démocratie, qu’on voie la métropole
C’est que les faiblesses et négligences de forme trahissent la
faiblesse du fond. Même quand on dispose des ressources humaines et
financières d’Avenir Suisse, la réflexion prend du temps. Coïncidence
significative, la vitesse ne s’oppose pas seulement à la qualité de la
pensée, mais aussi à l’essence de la démocratie. Dans leur hâte, nos
incendiaires n’en ont cure. Ils ont plus urgent à faire qu’à s’attarder
dans la désuétude où se complaisent les politiques.
Car il faut d’abord tisser la région en développant ses réseaux de
transport – de personnes, de marchandises et surtout d’informations. Il
faut mieux organiser la conquête du Savoir (avec majuscule) et la
diffusion des Savoirs (idem), faire bouger les hautes écoles,
reconnaître les acteurs de la métropole innovante, tous ces «créatifs»
exerçant des professions autrefois qualifiées de libérales, du type
juristes d’affaires ou psychologues convertis au coaching, qui font du
neuf avec du vieux.
Dans l’élan, nos auteurs s’entichent de théories en vogue, comme celle
de la «classe créative» émise par le professeur Richard Florida, sans
même prendre connaissance ni des analyses nuancées qui en ont été
faites à Montréal par l’Institut de la recherche scientifique, ni
des fines études menées à Zurich sur l’économie créative, avec l’appui
de la promotion économique de la ville (DP n° 1162) ou de son président
(2). Pas plus qu’ils ne font mine d’avoir consulté La Suisse – Portrait
urbain, ouvrage authentiquement novateur publié par les chercheurs
architectes et géographes de l’ETH-Studio in Basel (3).
Heureusement et curieusement, la réfutation est fournie avec le livre!
On la trouvera dans le dernier chapitre, sous la plume de Marc Comina,
journaliste et conseiller des radicaux vaudois, qui, avec un sens
confondant de l’opportunité politique, émet les rappels qui s’imposent.
Et qui sont, en effet, peu encourageants : fractionnement des espaces
institutionnels, résistance de féodalités locales, lenteur des
processus de décisions législatifs et opérationnels, difficulté à
prendre des options stratégiques en raison du manque de vision à long
terme des élus et des blocages inhérents au système de concordance,
ainsi que des continuelles interventions des lobbies – ce qui va sans
dire dans un livre patronné par Avenir Suisse.
D’où la nécessité d’une véritable réflexion sur l’écart croissant entre
espaces fonctionnels et territoires institutionnels ainsi que sur les
moyens d’y remédier, en lieu et place d’une recette concoctée dans les
cuisines d’un «think tank».
1) Xavier Comtesse et Cédric van der Poel : Le feu au lac – Vers une
Région métropolitaine lémanique. Zürich, NZZ Libro + Genève, Ed. du Tricorne et Avenir Suisse,
2006.
2) Philipp Klaus : Stadt Kultur Innovation – Kulturwirtschaft und
kreative innovative Kleinstunternehmen in der Stadt. Zürich, Seismo Verlag, 2006.
3) Roger Diener et al. : La Suisse – Portrait urbain. Basel / Boston / Berlin, Birkhäuser, 2005.
Réactions
Il n’y a pas le feu au lac : Région lémanique selon Avenir suisse – (Daniel Rochat) –
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Permettez-moi d’exprimer une opinion sur ce thème. Peut-être que s’ils essaient de sortir de leur cocon en se basant sur leurs expériences, la voix des vieux serait audible aux jeunes. Les «projets» d’Avenir suisse sont peut-être une entrée en matière mais la situation de la jeunesse mérite une réflexion plus sérieuse. Depuis des décennies le monde évolue vite et les repères se perdent. Il L’Europe est un fait indéniable, ouvrons les yeux. Se pose donc la Depuis lors, l’Europe a reconnu que la guerre était néfaste même en Vaud et Genève pourraient se parler. Entre eux il y a unité Alors, pour viser une conclusion positive, on a beau retourner le
Dans quelques années (10 ans, 30 ans ?) dit-on, la population vaudoise A ne pas oublier non plus, une responsabilIté du pays découle de sa Souhaitant la poursuite de l’esprit de réflexion et d’initiative de l’équipe de Domaine Public, je vous assure, Mesdames et Messieurs, de mes meilleurs sentiments. Daniel Rochat, Prilly, 23 mars 2006 |
La langue régionale – (Alex) – alex.depraz@bluewin.ch – 28.03.2006
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M. Rochat écrit que “Avec le gonflement des moyens de communication, les barrières linguistiques gagnent paradoxalement en opacité”. Il voit juste. Je prends l’exemple des sites de rencontres sur le net: un internaute lausannois va discuter avec des connectés de Suisse romande, mais aussi des départements français voisins. Des personnes qui peuvent à la fois discuter en français et habiter suffisamment près. Avant, il y avait plus de probabilité qu’un habitant de la Côte rencontre une fille au pair argovienne dans un bal populaire. Il ne faut bien sûr pas généraliser. Mais internet rapproche plus la Suisse romande de Lyon que de Zurich. Le volontarisme suisse et le fédéralisme pourront-ils résiter longtemps à cette tendance? |
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Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!