Les inégalités contre la croissance
Dans son rapport
sur la croissance (2002), le Secrétariat à l’économie (seco) note en
passant que la Suisse est avec le Japon l’un des rares pays dont la
demande intérieure a connu des signes de faiblesse. En clair, le revenu
réel des salariés n’a pas progressé durant les années nonante, pour
certaines catégories, il a même reculé. Or curieusement, ce phénomène
ne semble pas susciter la curiosité de la majorité des économistes.
L’évolution et la répartition de la richesse n’ont pas seulement à voir
avec l’équité et la cohésion sociale. Elles influencent également la
croissance. Si les fruits de la croissance sont mal partagés, la partie
défavorisée de la population restreint ses dépenses. Et comme les
privilégiés ne peuvent accroître les leurs proportionnellement à
l’augmentation de leurs revenus, la consommation stagne.
Certes les pauvres ne sont pas devenus plus pauvres et les riches plus
riches. Entre 1982 et 1992, les 10% les moins bien lotis des salariés
ont vu leurs revenus bruts croître de 20%. Alors que dans le même
temps, l’écart avec les 10% les mieux rétribués s’est élargi. Mais ce
sont les salariés de la classe moyenne qui ont surtout souffert : la
croissance plus faible de leurs revenus a pour une bonne part été
confisquée par l’augmentation des prélèvements obligatoires – impôts et
taxes, cotisations sociales, assurance maladie – obligeant cette partie
importante de la population à restreindre sa consommation.
Les autorités – gouvernement comme Parlement – appuyées par les
économistes officiels, ont agi au contraire du bon sens économique en
proposant des baisses d’impôts en faveur des privilégiés, imaginant
ainsi relancer la croissance. Alors qu’il aurait fallu soutenir le
pouvoir d’achat des salariés modestes. Sachant que le nombre d’enfants
est proportionnellement plus élevé dans ces milieux, il aurait fallu
par exemple exempter les mineurs des primes de l’assurance maladie,
augmenter les allocations familiales et soutenir financièrement
l’horaire scolaire continu. Comme quoi l’idéologie rend aveugle.
Ce non-sens économique n’est pas isolé. Il faut encore mentionner la
politique monétaire restrictive de la Banque nationale (BNS) et une
politique budgétaire contre-productive pour faire le tour de
l’incompétence de nos théoriciens de la croissance – politiciens,
experts du seco et professeurs.
Si la Suisse détient un record, c’est bien celui de la stabilité des
prix. Jusqu’en 1996, la BNS en a fait un dogme qui a détruit de
nombreux emplois. Car la croissance se conjugue aisément avec un taux
d’inflation de 2 à 3% et exige de la Banque centrale qu’elle réagisse
rapidement à l’évolution conjoncturelle. Pour preuve, la politique
suivie par Alan Greenspan et la Réserve américaine, une politique
théorisée par les Nobel Akerlof et Stiglitz.
Autre record helvétique, celui du taux d’épargne. Traditionnellement
considérée comme une vertu, l’épargne a atteint des dimensions
pathogènes, puisqu’elle prétérite les investissements. Et sans des
investissements suffisants, pas de croissance.
*Gegendarstellung. Wer die Schweizer Wirtschaft bremst. Xanthippe Verlag, Zürich, 2005.
Concept de politique économique libérale, supplément de La Vie économique, 1999/8, seco.
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