La politique ne cesse d’être rattrapée par la philosophie. Illusoire de
vouloir délimiter leur domaine, celui de César et celui de Dieu. Car
qui inspirera César ? Il n’est pas de gouvernement qui n’ait mis en
place son comité d’éthique.
On sait les problèmes posés par la génétique et certaines de ses
applications pratiques, comme la procréation assistée. Or l’actualité
nous apporte un nouvel objet de réflexion philosophique remarquable.
Qu’est-ce qui distingue l’invention de la découverte ? Sur ce sujet qui
pourrait être celui d’un séminaire sur Descartes plancheront les
parlementaires. Car le Conseil fédéral leur soumet une révision de la
loi sur les brevets.
Epistémologiquement
La distinction paraît simple. «Découvrir», c’est trouver, tel un trésor
caché, quelque chose qui existe préalablement à la recherche mais que,
jusqu’à la «découverte», on n’avait pas su voir, repérer, détecter ou,
tout simplement, comprendre. En revanche, «inventer», c’est créer
quelque chose, machine, poème, médicament, qui n’existait pas
antérieurement, si ce n’est sous forme d’éléments, avant que l’idée,
l’illumination, la métaphore en fassent un objet nouveau.
Cette distinction devrait rendre simple l’application de la loi sur les
brevets. Elle protégerait, non la découverte, mais les inventions, du
moins celles qui ont un caractère d’utilité industrielle.
Or la réalité est plus complexe. La découverte est un phénomène subtil.
Elle demande la mise au point de méthodes d’analyse originales. Elle a
besoin d’un outillage, lui-même inventé et adapté. Bref pour être
efficace, elle doit être inventive.
Les pharmas
Le brevet est d’une importance vitale pour l’industrie pharmaceutique
qui travaille sur des champs de recherche longs. Elle demande donc à
pouvoir les amortir sur la durée. Le capitalisme, en dérogation à ses
lois de concurrence généralisée, lui accorde la protection d’un long
monopole, vingt ans, celle du brevet. Jusqu’à ce jour, il concernait un
produit nouveau, un médicament, dont l’inventeur annonçait, en même
temps qu’il le protégeait, le procédé de fabrication. Or la recherche
permet de découvrir un phénomène biologique sans qu’on ait mesuré
toutes les applications pratiques que l’on pourrait tirer de sa
manipulation. Par exemple, une séquence unique est repérée, et le
chercheur définit aussi l’emploi qu’il attend de son action stimulée.
Mais peut-être d’autres emplois seraient-ils possibles et imaginables.
Or les pharmaceutiques demandent que le brevet protège la séquence
unique découverte et toutes les applications futures possibles,
comme s’il était une substance chimique nouvelle, susceptible d’usages
et de combinaisons multiples.
Cette exigence, à laquelle le Parlement est invité à souscrire, pose
deux problèmes : le premier, général et philosophique, celui de
brevetage de l’existant et du vivant ; le deuxième, pratique, celui de
la portée du brevet, car il ne protège plus un produit, mais en quelque
sorte, un territoire. Il n’offre plus le monopole à son inventeur, mais
à un chercheur, auquel est réservé une chasse gardée. Pour protéger le
trésor est garantie l’annexion de l’île.
L’enjeu
Dans les votations antérieures où était en jeu la liberté de la
recherche, nous avons toujours plaidé pour qu’elle puisse se développer
sans limitation autre que celles évidentes de l’éthique. Mais
l’industrie pharmaceutique, qui tenait le même langage, réclame
aujourd’hui par son interprétation du brevet un monopole qui sera une
entrave à la liberté de la recherche, contraire à cette liberté dont
elle se parait noblement, car là où il y a brevet les chercheurs
devront négocier une licence d’utilisation. Et le débat parlementaire
démontrera une fois de plus l’efficacité et le poids du lobbying des
pharmas.
Qu’est-ce qu’un brevet ?
Les brevets protègent des inventions en procurant à leur titulaire
vingt ans de droit exclusif (monopole) sur leur utilisation
commerciale. En contrepartie de ce droit, le titulaire doit décrire
publiquement son invention de façon qu’un homme de métier puisse
l’exécuter. le brevet n’est valable que dans les pays dans lesquels il
est enregistré.
Pour être brevetable, une invention doit satisfaire à trois critères :
- la nouveauté : une invention est nouvelle lorsqu’elle
n’appartient pas au Fonds mondial de connaissances. Pour apprécier la
nouveauté d’une invention, il faut donc la comparer à l’état technique
existant dans le monde. - l’activité inventive : pour un homme du métier, l’invention ne doit pas découler de manière évidente de l’état de la technique.
- l’application industrielle : une invention doit pouvoir être utilisée, réalisée et reproduite industriellement.
Par ailleurs, les inventions dont les applications sont contraires à
l’ordre public ou aux bonnes mœurs (par exemple, procédé de clonage
humain) ne peuvent être brevetées.
(Institut fédéral de la propriété intellectuelle)
Pour cet article, nous avons utilisé notamment le dossier de la Déclaration de Berne (Solidaire
n° 184, février 2006), dont nous saluons au passage le nouveau logo et
la nouvelle présentation. Sur le même sujet, excellente contribution
aussi dans le dernier cahier de Swissaid.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!