Dans un collège aussi composite que le Conseil fédéral, les décisions
ne sont, à l’évidence, pas prises à l’unanimité. Mais alors, qui décide
? Pour chaque objet, quelle majorité ? Nous ne le savons que par
supputation ou indiscrétion. Plusieurs responsables des partis
gouvernementaux ont dès lors demandé que les votes du Conseil fédéral
soient rendus publics. Leurs arguments pour prôner cette réforme :
clarté et transparence. On finit toujours par l’apprendre,
plaident-ils. Que l’annonce soit donc officielle plutôt que chuchotée !
De surcroît il est démocratique que le citoyen soit renseigné sur le
comportement de ses champions, notamment de ceux qui portent ses
couleurs. Malgré son langage à la mode médiatique, le droit de savoir,
cette proposition doit être rejetée comme irréaliste et pernicieuse.
La pratique
Il est rare que l’on vote dans un collège. Quand chacun s’est exprimé,
le décompte est fait. Cela signifie que la délibération est essentielle
et, dans chaque intervention, comptent non seulement le contenu, mais
le ton. Est-il celui d’une opposition résignée, de principe, ou celui
d’une détermination farouche ? Est-ce que l’acceptation d’un projet a
été rendue possible par une concession ? Un vote n’a de sens qu’en
fonction de la délibération qui le précède. Or la délibération n’est
pas publique (art. 20 de la Loi sur l’organisation du gouvernement,
Loga). A juste titre, car les membres d’un gouvernement partagent une
responsabilité commune, ils ont de ce fait un langage qui leur est
propre ; ils ne sont pas en représentation comme les parlementaires,
représentants bien nommés du peuple.
Collégialité
Si les votes sont rendus publics, nominativement, un pas supplémentaire
aura été franchi vers la médiatisation de la politique. Les
organisateurs de forum, les spécialistes de la confrontation-spectacle
seront autorisés à demander aux opposants les raisons de leur refus. Au
lieu de clore le débat, le vote public en ouvrirait, hors enceinte, un
autre, médiatique, court-circuitant le vrai débat devant le Parlement.
Enfin, la publication des votes romprait la collégialité à chaque coup.
Lorsque, quelquefois, par exemple dans le canton de Vaud, elle a été
délibérément rompue, en quoi a consisté l’exercice ? Les opposants ont
fait savoir publiquement par un communiqué ou une conférence de presse
qu’ils étaient opposés à la décision prise. Avec la publication des
votes, on aurait une rupture de collégialité automatique.
En fin de compte, la publication des votes serait contraire à la
Constitution (art. 177 : «Le Conseil fédéral prend ses décisions en
autorité collégiale») et à la loi (art 4 Loga : «Le Conseil fédéral
assume collégialement ses responsabilités gouvernementales» et art 12 :
«Les membres du Conseil fédéral défendent les positions prises par le
Conseil fédéral.») On peut discuter ce que signifie «défendre» la
position collégiale. Est-ce, interprétation minimale qui est la nôtre,
s’abstenir de toute critique publique ? ou, interprétation classique,
soutenir même contre sa conviction personnelle ? Quelle que soit la
réponse, elle n’est pas compatible avec la publication des votes du
Conseil fédéral. Car, par cette publication, les votes des opposants
sont instrumentalisés et rendent impossible, intenable, un soutien même
minimal. Ce serait alors une collégialité schizophrénique.
Signe
Cette proposition est toutefois un signe de la fébrilité qui règne dans
les états-majors politiques. Qui peut-elle intéresser ? Les partis les
plus polarisés, l’UDC, notamment, soucieuse de démontrer qu’en toutes
circonstances les magistrats choisis par elle sont fidèles au programme
sur lequel ils ont été élus ; le parti socialiste peut-être, dans la
mesure où il doit se distancer de la politique de droite du Conseil
fédéral.
Et d’une manière générale, on pressent, dans cette agitation, le besoin
des états-majors de parti d’avoir barre sur les choix de la politique
gouvernementale. Dans ce cas, mieux vaut en débattre ouvertement qu’y
prétendre par une proposition immature.
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