La Suisse est plutôt bonne élève. Elle est ainsi à ce jour le seul pays
européen à avoir complètement introduit le système de la Déclaration de
Bologne (cf. encadré ci-dessous) dans ses universités. En a-t-on
entièrement estimé les effets ? Une formation ne s’arrête pas à la
sortie de l’université et les exigences professionnelles ne se sont pas
encore adaptées aux nouveaux cursus universitaires. Tel est par exemple
le cas pour l’accès au barreau.
Libre circulation
Pendant longtemps, la réglementation de la profession d’avocat variait
suivant les cantons. Jusqu’à peu, impossible d’ouvrir une étude place
Saint-François à Lausanne sans avoir soutenu une thèse universitaire.
La libre circulation et le marché intérieur sont toutefois passés par
là et les avocats peuvent aujourd’hui ouvrir librement leur étude dans
toute la Suisse. Une loi fédérale sur la libre circulation des avocats
fixe les conditions minimales pour exercer la profession.
Cette loi exige du plaideur qu’il dispose au minimum d’une licence en
droit. Cela ne correspond toutefois plus aux titres universitaires de
la réforme de Bologne. Le Conseil fédéral propose donc une révision de
la loi afin d’exiger une maîtrise universitaire (master) de celui qui
entend s’inscrire dans un barreau. Cette proposition paraît logique
puisque la Conférence universitaire suisse a toujours considéré que la
maîtrise selon Bologne équivalait à la licence de l’ancien système.
Toutefois, voilà que le discours a changé en ce qui concerne l’accès au
stage d’avocat : le projet prévoit que les cantons soient obligés
d’admettre les titulaires d’un baccalauréat universitaire (bachelor)
comme avocats-stagiaires. L’explication officielle est de permettre une
souplesse dans la formation, en donnant la possibilité aux apprentis
avocats de faire une formation pratique au milieu de leur cursus
universitaire. L’explication réelle est que le brevet d’avocat n’est
plus considéré comme un titre permettant l’accès à une profession, qui
doit être protégée en raison de son rôle au service du public et des
justiciables, mais comme un passage obligé dans une carrière
professionnelle dans le domaine juridique.
Brevet ou baccalauréat
Dès lors, certaines universités, notamment celle de Zurich, ont craint
que le processus de Bologne conduise à allonger la durée de formation
universitaire de l’ensemble des juristes, et donc à augmenter les
coûts. Pour plusieurs cantons, la parade est donc trouvée : ils
permettront à de simples bacheliers non seulement d’effectuer leur
stage mais aussi d’obtenir leur brevet d’avocat et de se diriger
ensuite vers l’économie privée ou l’administration sans passer par
l’obtention d’une maîtrise universitaire. Mais, dans le public, qui
fera la différence entre le titulaire d’un brevet d’avocat au bénéfice
d’un simple baccalauréat universitaire et un avocat pratiquant le
barreau titulaire d’une maîtrise ?
Les premières victimes de cette révision législative risquent d’être
les avocats qui verront la valeur de leur formation décliner : on
s’étonne donc que l’association faîtière d’une profession si réputée
pour son corporatisme soutienne ce texte. Ce projet de loi ouvre en
outre une véritable boîte de Pandore en créant une brèche dans le
modèle adopté jusqu’alors qui visait à faire coïncider la maîtrise
universitaire du système de Bologne avec l’actuelle licence. Il sera
donc intéressant de voir si les autres professions suivront la voie
tracée par les avocats.
Bologne pour les nuls
La Déclaration de Bologne, signée par trente pays européens dont la
Suisse, vise à harmoniser la structure des études universitaires en
Europe pour favoriser l’équivalence des titres et la mobilité des
étudiants. Les universités suisses qui l’ont mise en œuvre n’ont pas
adopté une terminologie uniforme, ce qui ne facilite pas la
compréhension du système. Les études universitaires selon Bologne se
dérouleront désormais en plusieurs phases successives :
- le baccalauréat universitaire (bachelor), qui correspond à une
formation scientifique de base, d’une durée ordinaire de trois ans ; - la maîtrise universitaire (master), qui correspond à
l’acquisition de connaissances spécialisées, d’une durée de deux ans.
Selon la CUS, ce titre correspond à la traditionnelle licence. - le cycle doctoral éventuel.
Articles de DP
Hautes écoles : Bachelor ou master : pour quelle réforme universitaire ? , Schwaab Jean Christophe ( jcs ), DP n°1583, du 05 Décembre 2003
Formation supérieure : La Déclaration de Bologne est un puissant catalyseur dans la marmite universitaire suisse , Nordmann Roger ( rn ), DP n°1546, du 31 Janvier 2003
Libre circulation des avocats (Office fédéral de la justice )
Déclaration de Bologne (texte, 1999 )
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