internationale, avant de tomber dans le giron de Kraft Food
International, la branche alimentaire de Philip Morris, brille de toute
sa complexité dans le livre de Claire-Aline Nussbaum. Ouvrage réalisé
sous la direction de Laurent Tissot et avec la collaboration d’une
équipe d’étudiants de l’Institut d’histoire de l’Université de
Neuchâtel.
La recherche observe et analyse les rapports mouvants avec l’étranger
de la petite fabrique fondée par Philippe Suchard en 1826. Car il
s’agit bel et bien d’un processus et non pas d’un état figé, atteint
une fois pour toutes à l’aube du xxe siècle. On n’est pas une
multinationale, mais on le devient sans cesse. Contre une certaine
image en vogue dans les recherches classiques, Suchard vit de
changements, parfois planifiés parfois hasardeux. Le livre décline les
innombrables mutations de raison sociale, d’organigramme, de structure.
Malgré les longs règnes à la tête de la société, d’abord celui de
Philippe lui-même de 1826 à 1884, ensuite de Carl Russ, son beau-fils,
jusqu’en 1925, les transformations se succèdent et défient la stabilité
séculaire du pouvoir paternaliste, voire philanthrope, incarné par les
deux hommes. C’est que la survie et la croissance du comptoir des
origines dépendent à la fois d’une direction ancrée dans le passé et de
la faculté d’adaptation dont elle sait faire preuve, à l’égard des
doléances syndicales par exemple. Avec son lot de conflits et de
tâtonnements qui ont failli coûter cher à Suchard.
Mais qui lui ont également permis de résister à la concurrence féroce
sur le petit marché suisse, notamment de PCK (né en 1904 de la fusion
de Peter et Kohler, de Cailler ainsi que de Nestlé). Voilà pourquoi
elle est la première à traverser les frontières pour s’implanter en
Allemagne dès 1879, puis en Autriche, Espagne et France dans les années
qui suivent. Toujours à l’affût, la société n’hésite pas non plus à
contourner protectionnismes et barrières douanières via le
développement de contrats de licence conclus un peu partout dans le
monde (de l’Europe de l’Est aux Etats-Unis). Alors que l’attachement
têtu à la qualité supérieure de ses produits (un peu plus chers certes)
et une inventivité débordante (le lancement de Sugus deux ans après le
krach boursier de Wall Street frise le génie) la sauvent de quelques
guerres et autres crises économiques.
Les données de première main, puisées dans les archives de
l’entreprise, s’imbriquent dans un récit passionnant. Elles ne
craignent pas les détails ou les détours quand le métabolisme de
l’entreprise le réclame. Lettres et notes de travail, comptes rendus et
rapports mettent en scène le drame d’une chocolaterie, les mains dans
le cacao et le sucre, transformé en groupe international, avalé
finalement par plus puissant et plus gros que lui. La famille s’efface
au profit d’investisseurs étrangers. La modernité semble à ce prix. Et
la chute finale de Willy, fils de Carl, rattrapé par ses dettes et sa
gestion déloyale, sonne amèrement le glas du capitalisme des pères
fondateurs décimé par la mondialisation et la corporate
governance.
md
Claire-Aline Nussbaum (direction et coordination de Laurent Tissot), Suchard. Entreprise familiale de chocolat 1826-1938. Naissance d’une multinationale suisse. Editions Alphil, Neuchâtel, 2005.
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