L’édition des romans de Ramuz dans la Pléiade, considérée comme une
consécration, le happy end des relations du Vaudois avec la France et
Paris, ne doit pas estomper la publication de son journal, y compris le
matériel qui l’accompagne, à savoir des notes et des brouillons.
L’événement est majeur puisque des centaines de pages inédites sont
publiées, intégralement.
Ramuz, de son vivant, avait donné une première version de son journal
pour la grande édition de ses œuvres complètes que fit paraître Mermod
en 1940-1941. Il remania encore ce texte en 1943. Après sa mort, des
notes couvrant ses dernières années (1942-1947) furent publiées par
Mermod.
Mais Ramuz opéra pour ces publications un choix sévère dans les textes
qu’il avait conservés. Il élagua d’abord tout qui n’était pas assez
abouti, pas assez écrit et, à plus forte raison, des notes non
élaborées. Mais il n’a pas retenu non plus des réflexions qu’il a dû
juger, avec le recul, infidèles, de la même manière qu’il nous arrive
de croire qu’une photo de nous-même ne nous ressemble pas. Le tri a été
sévère, presque total sur de nombreuses années. C’est donc bien un
Ramuz inédit qui nous est restitué. Le travail accompli sous la
direction de Roger Francillon et Daniel Maggetti est remarquable par sa
précision chronologique, la relecture des notes à la virgule près, par
la confrontation des variantes ; une édition à la fois scientifique et
de lecture aisée.
Retouches
Le journal intégral de Gustave Roud apportait des données nouvelles,
qui avaient été écartées par Philippe Jaccottet, par égard pour les
personnes citées. Roud devenait, par la restitution du texte complet,
plus proche, plus humain en quelque sorte. L’intégrale du journal de
Ramuz n’apporte pas de semblable correctif : on n’y trouvera pas de
confidences, de révélations, de tiers inconnus, même si Ramuz note
parfois son humeur («mauvaise journée»), son état de santé, sa fatigue,
ou les jours d’euphorie créatrice.
Ce qui frappe, c’est la manière dont Ramuz se construit, pas seulement
comme écrivain devant faire du choix d’écriture, devant prendre le
risque lourd de vivre de sa plume, de rompre partiellement avec les
siens, de se définir, lui Vaudois, par rapport à la culture et au
français standard. Ce volontarisme-là est connu parce que Ramuz en a
fait une part essentielle de son œuvre. Mais cette construction de
lui-même que nous révèle le journal intégral apparaît comme un effort
plus total de lucidité et de réflexion : qu’est-ce que les sociétés ?
qu’est-ce que la majorité ? et plus fondamentalement, quel est le
rapport de moi aux autres ? Ce rapport à autrui est vécu, par écrit,
avec une rare intensité, définie par deux cercles, celui des amitiés
électives, et celui du public. Cette recherche existentielle éclaire
l’œuvre. On ne peut être que frappé par le caractère travaillé de
l’écriture ramuzienne. Certains, critiques, ont voulu y voir comme un
procédé. Le journal nous en révèle au contraire les sources. Ramuz
s’est voulu très volontairement ce qu’il a été. Même s’il ne contient
pas de confidences, le journal rapproche singulièrement l’homme et
l’œuvre.
C.F. Ramuz, Journal : journal, notes et brouillons.
Tome 1 : 1895-1903. Tome 2 : 1904-1920. Tome 3 : 1921-1947. Texte
établi et annoté par Daniel Maggetti et Laura Saggiorato. Editions
Slatkine, 2005.
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