L’enquête «Perspective suisse», menée par quatre étudiants des universités de Saint-Gall et Zurich, avait certainement d’autres ambitions que l’accueil poli qui en a été fait dans les médias. D’autant plus qu’elle était parrainée par quelques grands noms du monde politique suisse : Rolf Schweiger, Doris Leuthard, Ueli Maurer et Ruth Metzler (Hans-Jürg Fehr ayant décliné l’invitation). La presse s’est contentée de mettre l’accent sur un des résultats les plus nets : les Suisses seraient favorables, pour une énorme majorité (88%), à une école unifiée ou uniformisée (vereinheitlicht).
On n’insistera pas trop sur les problèmes méthodologiques de l’enquête, dus en grande partie au fait que les sondés (13 000 personnes) sont des volontaires qui ont décidé de se rendre sur un site Internet pour répondre au questionnaire. Une sélection s’opère déjà à ce niveau ; il faut savoir utiliser un ordinateur connecté au réseau et avoir un intérêt élevé pour la vie politique. Les auteurs de l’enquête ont bien tenté de corriger les différents biais (âge, sexes, cantons, niveaux de formation) mais n’ont pas pu résoudre totalement le problème de la représentativité de l’échantillon.
Au-delà de ces problèmes de statistiques, se pose également la question de la formulation des questions. On sait fort bien que la formulation des questions induit en partie les réponses. Dans ce cas précis, on ajoutera qu’il faut non seulement que tout le monde ait compris les questions de la même manière, mais il faut encore que l’on puisse faire quelque chose des réponses. On connaît l’habituelle difficulté à prévoir l’issue des votations à l’avance, malgré le fait que les questions des sondages sont logiquement formulées de la même manière que les objets mis au vote. On se rend donc compte qu’il est très difficile de savoir quelles propositions concrètes les citoyens suisses seront prêts à soutenir lorsqu’elles leur seront réellement soumises. Ainsi, 80% de l’échantillon serait favorable à une école obligatoire unifiée. Mais unifiée selon quels critères ? Les horaires, la première langue étrangère, l’âge d’entrée en classe, le programme de mathématiques, le salaire des enseignants ?
Mobiliser d’abord
Ce type d’enquête a pour but évident de mobiliser le monde politique autour d’un certain nombre de thèmes. Les résultats devraient permettre «d’élaborer des projets qui correspondent aux besoins de la population suisse et qui pourront donc être acceptés par un référendum par le peuple». Mais il ne suffit pas d’interroger la population pour changer l’état des choses. Transformer cela sur le terrain législatif est une autre affaire. Car là se poseront les questions auxquels les citoyens n’auront pas eu à répondre dans le cadre de l’enquête ; ces questions susceptibles de faire gagner ou perdre une votation. Le travail des étudiants alémaniques ne saurait être condamné pour autant. La démarche n’est pas inintéressante. Mais a-t-elle réellement permis de mieux comprendre l’opinion des Suisses ? Pas sûr. Tout au plus pourra-t-elle inspirer certains élus occupés à suivre de très près l’«opinion publique» pour forger leur programme politique. os
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