L’idéal européen, tel qu’il fut vécu et porté par une partie importante de la population, est mort ce week-end, a-t-on entendu au soir du 4 mars. En réalité, les bilatérales l’avaient déjà enterré, en montrant qu’on pouvait négocier avec nos voisins, sans participer à la promesse d’un continent rassemblant dans un héritage commun les blessures de l’histoire, les erreurs de parcours d’un projet fragile, les incertitudes d’un avenir qui reste à construire. L’actualité européenne n’aidait d’ailleurs pas les initiants. Difficile de voir brûler, sur les charniers du bétail sacrifié par la fièvre aphteuse, la flamme de l’idéal communautaire.
Il n’empêche. La sécheresse du refus a sonné tous les partisans pro-européens ; et a éteint, pour un temps du moins, le volontarisme affiché depuis de nombreuses années par ces jeunes qui avaient vingt ans en 1992 et qui, dix ans plus tard, voient une partie de leurs rêves s’écrouler. Leur découragement au soir du 4 mars est légitime, à la mesure de leur engagement. Et pourtant, à y réfléchir a posteriori, l’échec était programmé. Quand les milieux économiques, bancaires et le Conseil fédéral s’associent pour refuser un projet, celui-ci a toutes les chances de se heurter au rejet populaire.
Doit-on pour autant penser que la Suisse a définitivement chassé l’adhésion à l’Union européenne de son territoire de pensée ? Certainement pas. Les analystes de la politique suisse qui, en Helvétie, ressemblent aux vieux sages africains contemplant la longue maturité des baobabs, nous rappellent, à juste titre, que la Suisse, de par son système politique, de par son histoire, est un pays où le consensus s’invente et se construit lentement ; que le bon sens, la prudence et le pragmatisme nourrissent l’évolution des projets. Et que l’idéal repose sur le froid réalisme. Explorons sagement les bilatérales, disent le peuple et les cantons, et laissons au Conseil fédéral l’initiative de nous convaincre de l’adhésion.
Celui-ci a aujourd’hui les clés et le calendrier en main pour faire évoluer les mentalités. Son
« non raisonnable » a plombé l’initiative. Mais il revendiquait la marge de manœuvre nécessaire afin de négocier l’adhésion selon les conclusions de son Rapport sur l’intégration. Il en a fait la promesse durant la campagne. Qu’il s’y engage désormais fermement. Le deuxième round des bilatérales, auquel l’Europe semble donner son accord, est une des étapes du processus. D’autres mesures, concrètes, devront suivre qui permettront d’adapter la législation, la fiscalité, les outils de la démocratie suisse aux règles européennes. C’est à l’aune de cet engagement-là qu’on mesurera la crédibilité du Conseil fédéral lors de la prochaine législature. L’Europe n’est plus un étendard que l’on déploie, mais une pédagogie des petits pas. Gageons que ce sera difficile. Lundi soir déjà, des paysans refusaient d’entendre plus longtemps l’argument du marché européen pour justifier la baisse du prix du lait. GS
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