Une commission d’experts désignée par le Conseil fédéral préconise un système « à points » pour réguler l’arrivée de la main-d’œuvre étrangère: plus on est compétent professionnellement, plus on est intégré. Une conclusion démentie par une étude du Fonds national de la recherche.
La Confédération le sait depuis 1997 : elle doit fixer de nouveaux objectifs en matière de politique migratoire. Pour des raisons économiques, politiques, sociales, morales même. A l’époque, des experts ont donc planché sur le sujet ; et ont fini par préconiser un système d’admission dit « à points ». L’idée est simple : plus on est professionnellement compétent, et mieux on est susceptible de s’intégrer. Heureusement une étude, réalisée par le Fonds national de la recherche scientifique, vient infirmer cette analyse.
Mettre l’accent sur les phénomèmes dynamiques
Dans les années soixante, rappellent les chercheurs, l’appel à la main d’œuvre étrangère visait à l’expansion des branches industrielles dans un contexte de pénurie de travailleurs, de stabilité des techniques et de production de masse. La main-d’œuvre n’était pas considérée comme un moteur de l’évolution économique, mais comme une sorte de « carburant » pour faire tourner la machine à plein régime.
L’évolution économique actuelle, par contre, conduit à l’établissement d’une nouvelle division internationale du travail. L’éclatement des économies nationales entraîne un recentrage de la production de chaque pays sur un nombre restreint de biens ou de services ; pour un pays à hauts revenus comme la Suisse, ce recentrage s’effectue davantage par l’innovation qu’à travers la concurrence par les coûts. Cette transformation économique a modifié la nature des flux migratoires. Le rôle actuel de l’immigration dans les activités économiques, disent les chercheurs, n’a donc plus rien à voir avec la rigidification des structures économiques rencontrée dans les années soixante. Au contraire, la Suisse compte sur l’immigration pour agir sur le développement et la modernisation de l’économie suisse. La main-d’œuvre allogène tend à compléter les compétences des actifs autochtones. Ce qui démontre, selon les chercheurs, qu’il faut mettre l’accent sur le caractère dynamique des phénomènes migratoires (les capacités d’innovation par exemple) et non plus seulement sur leur caractère statique (entre autres, les capacités d’intégration).
Ainsi, classer les candidats à l’immigration en fonction de critères de compétences revient à les différencier selon leur degré de désirabilité économique (soutien à l’innovation, contribution au développement des structures) et d’acceptabilité sociale (occupation d’un emploi, catégorie socioprofessionnelle élevée). Or, les chercheurs ont constaté que pour la main-d’œuvre immigrante, être hautement qualifiée, favoriser l’innovation, participer à l’accroissement de la productivité, contribuer au développement des structures économiques ne signifie pas encore s’intégrer socialement et culturellement : le degré d’intégration sociale et culturelle dépend notamment des projets migratoires des individus ainsi que de leur mode d’adaptation au nouveau contexte de travail et non à une prétendue « capacité », liée à un haut niveau de qualification. Bien sûr, on peut certes penser que des compétences professionnelles élevées débouchent sur une bonne intégration économique, elle-même suivie d’une intégration socioculturelle et linguistique de qualité. Mais les chercheurs ont aussi constaté que de nombreux migrants munis de faibles qualifications, exclus professionnellement, sont très bien intégrés. A l’inverse, d’autres migrants ont la possibilité financière d’organiser leur vie de façon tout à fait autonome, mais ne participent que peu à la vie sociale locale et n’apprennent pas la langue de la région d’accueil.
Rien de concret
En fin de compte concluent les chercheurs, il ressort que l’amalgame « désirable/intégrable » et l’identité « non intégration/exclusion » reproduit le sens commun sans s’appuyer sur des faits concrets. Il faut « rappeler que la politique migratoire suisse se construit aussi comme une politique d’opinion, produit d’un compromis dépourvu de véritable analyse critique. Déterminée par l’opinion publique et les milieux économiques, elle est surtout destinée à atténuer les craintes des autochtones tout en satisfaisant les besoins des entreprises ». gs
Source : La Vie économique, 11/2000.
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