Le parti socialiste suisse s’est réuni le week-end dernier à Lugano. Au programme, l’adoption des thèses sur le service public et la désignation de la nouvelle direction du parti. Après les années de divisions et de querelles internes, l’heure est à la réconciliation.
Lugano, c’est loin, Lugano, c’est long. Pour qui espérait profiter d’un week-end de Congrès du parti socialiste au Tessin pour anticiper les vacances d’automne, ce fut plutôt raté. Un trajet interminable, la traversée de la Suisse en équerre, pas le moindre wagon-bar. Et la pluie, constante, implacable. Les flots tourbillonnants, terreux, de la Reuss au moment de traverser le Gothard laissaient présager ce que les congressistes ignoraient encore : le drame des communes valaisannes, le déchaînement des eaux, les éboulements.
A l’ordre du jour du Congrès du PSS, le service public. Enfin. Le thème divisait depuis longtemps le parti, il devait forcément incarner le symbole de la réconciliation, tout comme l’accession à la présidence de Christiane Brunner, le « printemps du PSS ».
Enfin le débat
Services publics, donc. Depuis trois ans, le parti socialiste suisse débat du sort des grandes régies fédérales, de ses positions face à l’ouverture des marchés et du rythme des privatisations. Mais jamais encore, il n’avait abordé le problème de face. La première salve avait été tirée par la Jeunesse socialiste suisse au Congrès de Davos, en 1996. A Neuchâtel quelques années plus tard, un amendement a été adopté concernant l’électricité. Il s’opposait au processus de libéralisation ou prévoyait que celui-ci n’ait pas lieu plus rapidement que ce qu’exige la directive européenne.
Jusqu’à présent, les présidences successives étaient parvenues à éviter la discussion ; Peter Bodenmann parce que la question était trop idéologique, Ursula Koch parce qu’elle ne l’était pas assez. Cette fois-ci, poussée par les événements Ð entre autres le projet de Leuenberger de privatiser Swisscom et de créer une banque postale Ð la direction du parti a pris les devants. Enfin, disons plutôt qu’elle a déblayé le terrain.
Une commission a été chargée de pondre un texte censé rassembler les différentes « sensibilités » au sein de la gauche. Résultat : deux textes, celui de Pierre-Yves Maillard, conseiller national vaudois, et de Simonetta Sommaruga, conseillère nationale bernoise. De la direction du parti par contre, silence, on ne « résolutionne » pas. D’un côté, la défense d’entreprises publiques fortes, qu’il s’agit de préserver en résistant à l’offensive des monopoles privés, de l’autre, une attitude dite « pragmatique », qui allie scepticisme et ouverture (des esprits et des marchés). Les deux résolutions, soumises au Congrès l’une contre l’autre, sans arbitrage de la direction, promettaient des discussions enflammées, des réquisitoires et des mises à l’index.
Tant mieux ou tant pis, les déchirements n’eurent pas lieu. D’une part, parce que ce congrès invitait au calme après les tempêtes de l’année dernière. D’autre part, parce qu’une résolution de dernière minute Ð les congressistes en ont pris connaissance le jour même Ð rédigée par Werner Marti et Suzanne Leutenegger Ð dégagea le débat en corner.
Opposé dans un premier temps à la résolution Sommaruga, le texte de Maillard passe haut la main ; puis, par 328 voix contre 245, la résolution Marti/Leutenegger est adoptée par le Congrès. Au final, c’est étrange, tout le monde est content. Dans les médias, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, qui se déclarait pourtant proche des thèses Sommaruga, exprime sa satisfaction et son soulagement. Pierre-Yves Maillard aussi, qui considère que « de toutes les défaites que j’ai vécues, c’est celle que je préfère ». Alors qui sont les perdants, qui sont les gagnants ? Et surtout quelle orientation le parti socialiste suisse s’est-il choisie lors de ce Congrès ?
Un refus des privatisations
Difficile a priori d’apercevoir une véritable ligne de démarcation ; le parti socialiste slalome entre la défense du service universel, de l’emploi, des régions périphériques et l’amélioration des prestations, la baisse des coûts pour le consommateur, la défenses des petits actionnaires ou les exigences européennes.
Mais se dégage néanmoins de ce Congrès un net refus des privatisations des entreprises publiques, lié à une certaine ouverture à la libéralisation des marchés, inévitable dans le contexte européen. La ligne défendue par Sommaruga, qui propose d’aménager les conditions de régulation d’un marché libéralisé, est balayée. Le désaveu est tel qu’on peut saluer le courage de celle qui, manifestement à dessein, a joué le rôle d’épouvantail à moineaux.
Les positions de la gauche romande sortent renforcées, quand bien même la résolution Maillard n’a pas recueilli la majorité des suffrages. Le texte d’orientation adopté par le Congrès stipule entre autres que le PS s’engage pour le maintien des entreprises étatiques ; les monopoles naturels doivent par principe être aux mains des collectivités publiques ; le Conseil fédéral et le Parlement doivent formuler une stratégie de propriétaire pour toutes les entreprises contrôlées, qui assure et soutient un développement d’avenir du service public. Cela vaut pour Swisscom, tout comme pour La Poste, les CFF et la SSR.
La marge de manœuvre du conseiller fédéral Leuenberger se resserre donc. Pour autant qu’il respecte l’orientation adoptée par les délégués de son parti. En 1982 Ð qui s’en souvient ? Ð le Congrès de Lugano préconisait la rupture avec le capitalisme. Le texte fait toujours foi, mais on est encore loin du compte. Et ce week-end-là aussi, il pleuvait sur Lugano. gs
Le bal des débutants
Un Congrès, ça sert non seulement à adopter des résolutions mais aussi à faire l’état des lieux des parlementaires qui ont du poids dans le parti.
A ce titre, le débat sur les services publics était fort instructif. Il y eut, pour s’inscrire à la tribune, ceux qui commencent à compter : pour la Suisse romande, le trio Maillard-Garbani-Rossini et pour la Suisse allemande Hoffman-Sommaruga-Rechsteiner (Rudi).
Et puis il y eut ceux qui comptent mais qui n’ont plus de « grandes » ambitions : entre autres Rennwald, Strahm ou HŠmerle, positionnés, clairs, ne cherchant pas le consensus.
Mais ceux qui comptent et à qui l’on pourrait prêter quelques ambitions (Cavalli, Goll, Rechsteiner Paul) restèrent en retrait. Trop dangereux ?
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