D’une belle émission radio, on peut faire un beau livre.
Il y a la radio et il y a Daniel Mermet. Celui qui officie tous les jours à 17 heures sur France Inter est aux médias ce que Robert Frank fut à la photographie : un nomade généreux et curieux, un reporter respectueux des destins qui lui sont confiés.
Là-bas si jy suis, c’est une émission sur les voyages, bien sûr, mais qui raconte l’envers de la carte postale. Micro en main, Daniel Mermet, avec une équipe de passionnés du son parcourt les continents, s’enfonce dans les plis et les recoins du monde, laisse la parole à ceux qui ne la possèdent pas : les Roms de Hongrie ou de Slovaquie, les paysans du Viet-nam, les veuves d’Argentine, les Algériens de France, les victimes du génocide rwandais.
Respirent ainsi des blocs de voix non façonnés, des parfums, des vies, laissés en brouillon à l’oreille de l’auditeur. Des bruits libres s’échappent du transistor, se mélangeant ainsi aux bruits de la cuisine, de la circulation, dans notre paysage intime. Avec l’émission de Daniel Mermet, la radio devient image, elle suit les corps et les mouvements, habite l’espace.
ça n’a l’air de rien, mais c’est une conquête, un combat, de laisser passer des souffles d’air dans l’univers empesé, « studiosé » de la radio.
Daniel Mermet a décidé de garder une trace de ces rencontres éphémères. Avec beaucoup d’hésitation, avoue-t-il, car « trahir pour le plomb du livre, le papier mâché, clouer le papillon sur le bouchon, le regarder palpiter encore un peu et refermer la porte sur ces années. Ce serait moche. Sauf si vous prenez ça comme une partition transitoire qui attend les voix hautes, les alizées et les soupirs[ ?] »
Entre la radio et les mots
Et c’est vrai, on peut avoir des doutes. Comment transformer ces échappées polyphoniques en récit, comment redonner voix aux témoins d’un jour, d’une émission ? Daniel Mermet y parvient avec un certain succès. Des textes mis bout à bout, selon des architectures différentes, reprennent les meilleurs moments de l’émission, mais s’en éloignent aussi, pour laisser place à l’écrivain, au poète, voire au pamphlétaire. Ses textes deviennent ainsi mosaïque, fragments, s’identifiant aux géographies tourmentées, aux destins cabossés.
On pourrait reprocher à Daniel Mermet un certain lyrisme, une façon de noyer les individus dans un déluge de mots ; comme si, homme de radio, il avait besoin de rattraper une carence d’écrit. Mais, poursuivant son ambition Ð « rendre visible ce qu’un peuple se cache à lui-même » Ð il rattrape au détour d’une phrase tous ces visages qui allaient plonger dans l’oubli. gs
Daniel Mermet, Là-bas si j’y suis, Carnets de route, La Découverte, Paris, 1999.
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