Le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes a publié une brochure, intitulée C’est en forgeant qu’on devient forgeronne1. La brochure a pour but de prévenir les femmes des pièges des entretiens d’évaluation.
L’intention est louable, rien à redire. Les entretiens d’évaluation, c’est l’enfer de tout employé, pire qu’un rendez-vous chez son dentiste : se retrouver dans le bureau de son chef, engoncée dans un nouveau tailleur, en vous demandant si vous allez pouvoir le payer avec une augmentation de salaire ou devoir le revendre aux enchères. Lui, votre évaluateur, prend l’air aimable et détendu, mais en réalité il est tout aussi crispé que vous. Normal, il doit vous évaluer, pas du regard ou du cœur, mais bardé de son kit de gestion des ressources humaines. Et, nous dit le Bureau de l’égalité, quand on est une ressource humaine de type féminin, c’est encore pire. Car, nous, pauvres femmes, serions si modestes, si discrètes, si pétries d’humble dévouement que le travail de l’ombre que nous accomplissons quotidiennement reste à tout jamais invisible aux yeux de notre viril censeur. Heureusement, après ce dur constat, la brochure nous rassure : oui, « les femmes sont plus capables qu’elles ne le croient. »
D’accord, la différence entre les hommes et les femmes est réelle, tant au niveau des salaires, que du statut professionnel au sein d’une entreprise. Mais ces recommandations réconfortantes, maternantes, m’irritent un peu. Est-ce vraiment indispensable de rappeler aux femmes, dès l’enfance et jusqu’à la retraite, qu’elles manquent de confiance en elles, est-ce indispensable de les cantonner systématiquement dans le rôle de victime : de la société, de la famille, de l’entreprise, des hommes ? Comme si c’était un gène originel, une maladie incurable ?
Le « sois confiante » induit finalement le réflexe inverse : le fait de vous le répéter inlassablement vous rappelle que vous ne l’êtes pas et qu’en plus tout le monde le sait, puisque vous êtes une femme (et que vous entendez le rester). Et pour les rescapées, qui péniblement acquièrent l’assurance tant désirée, elles sont certes plus confiantes, mais du coup bien moins femmes.
Pointer le doigt sur l’entretien d’évaluation est juste. Proposer des conseils pour y faire face aussi. Mais l’inconfort et les difficultés de ces méthodes de gestion concernent aussi bien les hommes que les femmes ; l’introduction d’un salaire au mérite aussi. Le réel problème est là. L’entretien d’évaluation individualisée est contre-productif et inutile. Il ne tient pas compte des dynamiques collectives, de l’esprit d’équipe, de l’intérêt à travailler en commun. Il récompense le plus fort, ignore le plus faible, peu importe qu’il soit capable et confiant. gs
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