On dit Frisch et Dürrenmatt comme on dit Rimbaud et Verlaine, Sartre et Aron, ou Goethe et Schiller. La littérature helvétique posséderait ainsi une statue à deux têtes, un panthéon à deux faces, Frisch-et-Dürrenmatt. Une parité acceptée sous la contrainte. Nous sommes bel et bien amis, disait Frisch, mais par-dessus le marché, nous y sommes condamnés. Que leurs œuvres aient des consonnances identiques, qu’ils aient empoigné tous deux les mythes helvétiques pour imposer leur propre questionnement, c’est certain. Mais entre eux, les oppositions étaient fortes, de même que les disputes et les rivalités.
A contrario, la tentative de poser Frisch et Dürrenmatt comme deux principes littéraires opposés est tout aussi douteuse que le fait de les considérer comme un duo de comiques inséparables. C’est ce que témoigne le recueil de correspondance entre les deux écrivains édité par Zoé. Le livre est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord grâce à l’excellente présentation de Peter Rüedi, dürrenmattologue averti, qui brosse avec beaucoup d’intelligence et de finesse la force littéraire, politique, personnelle des liens qui unissaient ou séparaient les deux auteurs. Puis les lettres. Il n’y en a pas beaucoup, et elles sont souvent séparées par de longues périodes de silence, de non-dits, de petites vexations, de jalousies entre les deux hommes. Mais ces échanges parlent aussi de leur «camaraderie de travail». Elles témoignent, par un écho discret de leurs œuvres, de ce besoin qu’ils avaient tous deux de communiquer à l’autre l’état de leur monde intérieur. gs
Max Frisch, Friedrich Dürrenmatt, Correspondance, présentée par Peter Rüedi, Zoé, 1999.
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