Il y a quarante ans, les socialistes romands se
réunissaient à Yverdon. Thème des discussions, la propagande. René
Meylan, directeur du journal Le peuple / La Sentinelle, accusait les
défaillances du parti face à une droite combattive et déjà
néocapitaliste. Voici un extrait de son exposé.
«La propagande
bourgeoise est très différente aujourd’hui de ce qu’elle était avant la
Deuxième Guerre mondiale. Cette évolution correspond à un stade nouveau
du capitalisme : le néo-capitalisme. Dans l’ancien temps, la lutte des
classes était violente et ouverte, l’exploitation des travailleurs et
leur misère étaient manifestes, ce qui les conduisait à une conscience
de classe, moteur de l’action socialiste et de sa propagande, alors que
la propagande bourgeoise, assez grossière, défendait ses privilèges en
donnant du socialisme une image horrifiante.
Le néo-capitalisme a rendu les choses plus compliquées. Ses caractéristiques principales sont :
n
l’existence économique dans notre pays d’un prolétariat de 800 000
travailleurs étrangers qui n’ont pas d’existence politique, ce qui
affaiblit le mouvement politique ouvrier ;
n les modifications
structurelles intervenues parmi les salariés suisses : alors qu’en
1920, par exemple, on comptait 5 ouvriers pour 1 employé, on compte
aujourd’hui 1,8 ouvrier pour 1 employé ou «cadre» ;
n les ouvriers ne connaissent heureusement plus de crise économique et de chômage massif depuis près de trente ans ;
n des conquêtes sociales importantes ont été acquises (AVS, contrats collectifs, vacances payées, etc.) ;
n
dans la vie quotidienne, les classes ne sont plus séparées comme par le
passé par un véritable mur ; patrons et ouvriers écoutent la même
radio, lisent plus qu’autrefois les mêmes journaux, s’intéressent aux
mêmes sports, voient les mêmes films, etc. ;
n l’illusion de
bien-être entretenue sur une large échelle par les ventes à
tempérament, la publicité et le crédit, qui sont autant de formes
indirectes et fructueuses d’exploitation ;
n l’illusion de bien-être
entretenue par les heures supplémentaires, l’accroissement des rythmes
de travail, ainsi que le travail des mères de familles.
Dans cette
situation, la conscience de classe est battue en brèche. Un grand
nombre de travailleurs, qui ne sont plus pauvres comme avant, mais
autrement, croient parvenir chacun pour soi, par son propre travail, à
une liberté plus grande, ce qui est un leurre. La propagande
bourgeoise, efficace parce que subtile, s’adapte à cet état de choses.
Elle s’appuie sur ces données pour faire croire que les revendications
des travailleurs peuvent être réalisées sans le socialisme, que la
lutte est dépassée, qu’il faut résoudre chaque problème séparément en
cherchant l’«intérêt général», en cultivant la méfiance contre l’Etat,
la «bureaucratie», les partis, les syndicats, au nom d’une liberté qui
est abstraite et qui reste celle de la domination du profit.
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