Le Conseil d’État vaudois a diffusé un communiqué clair : il invite la population à faire preuve de tolérance face aux étrangers accueillis sur sol vaudois et condamne les actes xénophobes. Mais avec d’étranges explications.Commentaire.
Le Conseil d’État vaudois a fait publier la semaine passée, par l’intermédiaire du Bureau d’information et de communication de l’État de Vaud, une déclaration sur l’accueil des étrangers. Cette prise de position, fort bienvenue, est claire : elle « s’inquiète de la recrudescence de discours et d’actes exprimant l’intolérance de leurs auteurs à l’égard des étrangers ». En termes bien pesés, elle rappelle que les requérants d’asile hébergés en Suisse sont ici parce qu’ils ont dû subir la violence dans leur pays, et qu’ils ne sont, dans leur très grande majorité, pas des profiteurs et des criminels en puissance.
Jusque-là, rien à reprocher à ce communiqué Ð à vrai dire, il n’y a pas non plus à le louer pour être particulièrement généreux ou courageux : ce serait un comble que tout discours mesuré, qui tente de freiner les ardeurs xénophobes et racistes, doive apparaître comme une entreprise exceptionnellement magnanime ou intrépide.
Mais il se clôt par un paragraphe où survient un terme complètement saugrenu dans la terminologie officielle. Alors qu’une autorité politique utilise habituellement un langage formel et institutionnel, d’où sont autant que possible évacués des éléments métaphysiques ou métaphoriques, le texte de cette déclaration note : « le Conseil d’État sait aussi qu’il peut exister une tentation naturelle à faire porter à l’étranger le poids des difficultés résultant de la conjoncture économique, du chômage et des mutations sociales que traverse notre pays ».
Le racisme : une donnée fondamentale et naturelle ?
Que vient faire ici la nature ? Le communiqué utilise-t-il l’adjectif « naturel » en un sens « mondain » Ð « mais voyons, c’est tout naturel ! » Ð pour dire qu’il est bien normal, bien attendu que des réactions de refus d’autrui se manifestent. Ce serait singulièrement minimiser, voire excuser de tels comportements, au moment même où il est question de les mettre en cause. Ou le message se base-t-il sur la conviction que les êtres humains sont quasi physiologiquement racistes ? En essentialisant le racisme, en en faisant une sorte de donnée fondamentale de la « nature » humaine, le communiqué se mettrait dans une étrange position : il reconnaîtrait la fatalité organique de ce qu’il avait pour but de contrer par l’argumentation et la communication.
Le racisme n’est pas naturel, il est historique
Invoquer la nature humaine ou les « mentalités », c’est bien souvent faire de la sociobiologie et de l’ontologie caricaturales Ð et ni ce ton de fatalisme ni ce registre sémantique ne conviennent à un organe censé gérer la collectivité avec intelligence et dynamisme.
L’attitude raciste, qui désigne des victimes en les accusant d’être coupables, est simpliste ; mais il s’agit de n’en pas fournir des interprétations elles-mêmes simplistes, en la posant comme une sorte de reliquat archaïque instinctuel : si stupides que soient les recettes qu’il utilise, le racisme est une tentative de produire de la connaissance et de trouver une solution ; même si c’est de manière inepte, il établit des relations supposées logiques entre des phénomènes.
Pour garder une position fermement critique à l’égard du racisme, il ne faut pas l’assigner à la nature, mais à l’histoire, et aux relations entre des êtres humains, entre des collectifs. Et pour éviter de voir le racisme comme un attribut essentiel (confortablement et systématiquement attribué à l’autre), rappelons-nous son caractère relationnel ; comme le dit la troublante et éclairante formule de Claude Lévi-Strauss : « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». jyp
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