Un groupe de peintres s’expose en ce mois de mai à Genève sur l’ancien site industriel de Sécheron, entre l’élégant ghetto onusien et la rue de Lausanne, entre lac et voie ferrée. On peut y voir, en grands formats, le travail récent de Pascal Renaud, Alexandre Loye, Claude Maillefer, Yves Berger, Jie Qiu, J‡nos Horvath, Frédéric Polla, Maciek Laskowski, Karine Giorgianni et Yvan Sizonenko.
Un exploit sportif
Un groupe de peintres reste une entité délicate, malgré une longue tradition corporative dans le domaine pictural. Celui-là s’est constitué, non sans acharnement, autour de son projet d’exposition, conçu presque en huis-clos, comprenez à l’écart d’un réseau officiel de galeries ou d’institutions. Or ce groupe d’amis, formés pour la plupart aux Beaux-Arts de Genève, se révèle aussi discipliné, sinon plus, que s’il avait été mandaté par les plus exigeants sponsors. Une chronique signée Elisabeth Chardon, publiée dans le catalogue de l’exposition, témoigne de leur endurance, qui adopte parfois les apparences d’un exploit sportif dans sa version burlesque : sur l’affiche de cette collective, le groupe d’artistes se parodie avec le plus grand sérieux en équipe de footballeurs.
C’est qu’avec un sujet aussi vaste, il y a de quoi transpirer dans son maillot. On distingue dans la gestation des œuvres des attitudes offensives ou défensives lorsque l’actualité de la peinture est en question – c’est inévitable – mais cela se fait toujours avec les honneurs de la frontalité. «Nous nous heurtions sur tout», avoue l’un des protagonistes. Cependant, riches de leurs parcours insolites et de leur diversité culturelle, à travers une variété d’approches et de techniques, les joueurs ont su rester fair-play. Peinture-s est d’abord un bel exemple d’engagement cosmopolite.
L’énigme de la visibilité
Puis une louable prise de risques, car si l’on est, en matière de groupe, de sensibilité plutôt groucho-marxiste, c’est-à-dire très réservé à l’égard du statut de membre, on ne pourra s’empêcher de craindre la menace d’une dislocation imminente. Dix peintres, voyez-vous, ça ne se supporte pas très longtemps, c’est connu, les exemples sont nombreux. Pourtant le résultat est là, comme un éblouissement suite à d’âpres hostilités. Comme si la véritable émeute avait déjà eu lieu, ici et ailleurs, et ne devait subsister que l’essentiel, rassemblé dans cette formule de Merleau-Ponty qui figure dans les archives du groupe : « ( ?) la peinture ne célèbre jamais d’autre énigme que celle de la visibilité.»
La visibilité. Une stratégie en marketing ; une condition de la sécurité routière ; une notion qui continue à faire la fortune de quelques psychanalystes lacano-volubiles. Je me demande quand même pourquoi, pour les peintres, il faut si impérativement qu’elle reste une énigme.
Christian Pellet
Peinture-s. Ancien site industriel de Sécheron, Genève, du 2 au 30 mai 2003, organisée par l’association Les couleurs font le mur. Vernissage le 2 mai à 18h. Soirée art&fiction le 10 mai à 20h. Débat public avec John Berger le 23 mai à 20h.
DOCUMENT. Peinture-s, éditions art&fiction, Lausanne, mai 2003
lescouleursfontlemur@hotmail.com
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!