La branche vaudoise de l’association Visarte (Société des artistes visuels et architectes) organise à l’Espace Arlaud un sobre panorama des travaux récents de quelques artistes lausannois sur l’inoxydable sujet qu’est devenu le corps dans les activités culturelles de notre ville. C’est au peintre Muma Soler que l’on doit cette initiative.
Muma est un Catalan établi de longue date à Lausanne. Il se présente depuis quelques temps sous ce simple prénom mais ses œuvres portent le sceau malicieux de Signa-Tura. Il est de ces peintres qui savent insuffler dans une thématique qui confine d’autres au tragique, au désenchantement, à la douleur – donc sur les versants redoutés du pathos – une bonne dose d’humour revigorant. Sa Nouvelle Méthode pour apprendre à décourager les artistes en général, et les peintres en particulier (imprimé en sérigraphie en l’an 2000 dans l’atelier de Daniel Guibat) est un bon exemple du ton corrosif dont il est capable. Dans le plus pur style desprogien, il écrit : «Les artistes d’aujourd’hui sont très bien parce qu’ils sont très propres sur eux et qu’ils regardent toute la journée la télé et les ordinateurs. La peinture, c’est du passé, parce qu’elle salit tout : les habits, la table, le lavabo et même les tableaux. C’est triste à dire, mais c’est très sale ?»
En une dizaine d’œuvres sur toile et sur papier, Muma élève les salissures du peintre à un art très noble. Fusain, sépia, encre, gouache blanche, gomme et crayon sont ici au service d’un geste sûr qui unit le rire tonitruant au sérieux le plus désarmant. Quels corps peut-on distinguer dans ce subtil vacarme ? La Maja desnuda de Goya y côtoie de généreuses silhouettes accroupies, dessinées ou peintes avec une vigueur, une hargne qui font songer à de Kooning. Et l’ombre menaçante d’un homme en uniforme, milicien ou soldat, nous fait face pour nous rappeler qu’on n’est peut-être pas là pour rigoler. Ou plutôt si, mais avec la folie d’un Topor dans le Nosferatu de Werner Herzog.
Le texte, inscrit fébrilement au crayon, a une place de choix dans le travail de Muma, mais se trouve à la merci des figures imposantes qu’il couche sur le papier : «L’esprit y est mais pas la lettre» indique tel dessin, nous invitant à réfléchir sur les virtualités que sécrètent à leurs articulations l’image et le mot dans la représentation du corps. Sur tel autre : «D’abord nous sommes parlés, puis nous parlons, puis nous nous parlons, puis nous nous reformulons continuellement.» Et la peinture de reformuler son histoire, jour après jour. Ainsi le geste, quelquefois associé à la parole, me semble tendre vers la clarté.
J’ajoute, à l’attention de ma blanchisseuse, qu’il y a des choses plus salissantes que la peinture.
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