Des questions, des réponses et de l’équilibrisme.
La Coopération suisse s’adonne à la provocation et au message paradoxal. Titre de la dernière publication de la DDC (Direction du développement et de la coopération) et de l’OFAEE (Office fédéral des affaires économiques extérieures) : « Si les pauvres sont pauvres, c’est de leur faute ! »
Dans l’intention de contrer quelques lieux communs, les auteurs de la brochure convoquent d’autres arguments que les bons sentiments et la simple éthique. Ils privilégient le dialogue raisonnable, la mise en perspective de la place de la Suisse dans l’ensemble mondial, l’évaluation de nos intérêts à aider des pays en difficulté, la fierté que peuvent ressentir les Suisses devant leurs actions.
« Pour nos vieux, on n’a pas d’argent, mais ?. »
L’argumentation contre cette ritournelle est pour le moins étrange : le texte insiste sur la dimension mondiale des problèmes actuels Ð écologie, démographie, criminalité. La solidarité internationale réduira les tensions à l’étranger et diminuera par conséquent l’afflux des réfugiés de régions à risque. Le développement durable et la solidarité bénéficieront à tous.
Mais deux graphiques sont joints, dont l’un montre la faible part que prennent l’aide aux pays de l’Est (1,55ä) et l’aide publique au développement (11,8ä) dans les dépenses de la Confédération, des cantons et des communes, en comparaison, par exemple, avec celles d’autres secteurs comme la santé (124,85ä) ou l’éducation (186,7ä). L’autre graphique montre la diminution en cours de la proportion de l’aide publique de la Suisse.
Discours double donc : il importe, « pour nos vieux », que le pays aide des étrangers ; mais l’aide que l’on apporte à ces étrangers vaÊÐÊencoreÊÐÊdiminuer.
« L’aide au développement est un puits sans fond ? »
Ce chapitre relève que si la pauvreté reste à un niveau intolérable, des progrès importants ont été réalisés durant ces trente dernières années. Illustrations : le taux de mortalité infantile a été divisé par deux et l’espérance de vie moyenne est passée de 46 à 63,6Êans. Les inégalités restent néanmoins considérables (Espérance de vie en Suisse : 78,2 ans ; en Indonésie : 64 ; au Mali : 47). L’argumentation est ici aussi double, mais plus cohérente : pour assurer l’efficacité de son action, la Suisse la concentre sur seize pays en développement et sur dix pays d’Europe orientale. Elle limite son champ d’action à quelques secteurs ; l’« utilité » du développement est parallèlement démontrée par un graphique qui met en lumière le lien entre « développement humain » et conflits armés.
La femme : avenir du monde
Des arguments replacés dans le bon ordre permettent de comprendre que la surpopulation n’est pas la cause de la famine, mais que les coupables sont entre autres le manque d’éducation et la pauvreté. L’éducation et la promotion des femmesÊÐÊqui représentent le 70 % des pauvresÊÐÊapparaissent comme les moyens privilégiés de faire baisser la natalité. Petit rappel en passant : la pauvreté n’est pas une affaire de choix, elle est due à une absence de moyens : de terre, de formation, de santé, de travail, d’argent.
L’aide est souvent suspectée de prendre le chemin de poches corrompues. Mais la corruption suppose deux acteurs et la lutte contre ce crime doit être internationale. Les pays de l’OCDE commencent à agir dans ce sens de « bonne gouvernance », qui, outre la lutte contre la corruption, subordonne l’aide à l’existence d’un État de droit, à la gestion du secteur public et à la réduction des dépenses militaires excessives. La Suisse, « privilégi[ant] le dialogue [ ?] et non la rupture de l’engagement », applique avec une diplomatique souplesse cette subordination. Elle ne se raidit qu’en « cas de violations graves et systématiques des droits humains ».
Reste le débat sur « l’ouverture des marchés et la globalisation », qui rendraient, selon certains, « la coopération internationale [ ?] superflue ». L’argumentation de la DDC se meut alors dangereusement sur un fil, tanguant entre une globalisation « chance » ou « risque » pour les plus démunis.Danger, lorsque des États du Sud laissent au marché des tâches importantes, car la croissance qui s’en suit n’améliore pas nécessairement la condition des plus pauvres. Chance, pour tous les pays et toutes les couches de la population de « nouvelles opportunités », mais risque de ne pas disposer « des mêmes possibilités d’en tirer parti ». Les conséquences sont l’augmentation des « écarts de revenus à l’échelon national et international, créant ainsi des tensions sociales et des déséquilibres écologiques. »
La globalisation pourrait être un bienfait, si « un soutien solide » permettait de « faire face à la concurrence mondiale » et de « limiter [ses] effets négatifs ». L’aide permettra donc « aux pays concernés de se prendre en charge » ? bien qu’elle soit « réduite de manière draconienne au niveau international. » !
Cette brochure est riche en renseignements et le démontage de lieux trop communs est méritoire. Le traditionnel et périlleux exercice qui consiste à rendre compatibles l’économie de marché et la solidarité reste bien peu convaincant. Pourrait-il l’être ? cp
« Si les pauvres sont pauvres, c’est de leur faute ! », Questions et réponses au sujet de la coopération internationale de la Suisse, DDC et OFAEE, 1999.
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