C’est le titre de l’ouvrage de Jean-Luc Porquet paru
l’an dernier, à quelques mois du dixième anniversaire de la disparition
de Jacques Ellul. Déjà vendu à plus de 6 000 exemplaires,
facilitera-t-il la fin de la traversée du désert d’un homme largement
snobé de son vivant, oublié depuis le 19 mai 1994, jour de sa mort, et
dont la pensée est pourtant en pleine actualité ?
Le théologien
protestant a cessé de labourer l’Ancien Testament pour mieux faire
ressortir le retournement des valeurs du Nouveau, jugeant largement
inachevées et inaccomplies les institutions chrétiennes.
Anti-communiste véhément, il polémique même sur l’ANC de l’Afrique du
Sud, avant de tourner la page pour scandaliser son monde dès le milieu
des années huitante, en annonçant le conflit majeur que se prépare
l’Occident avec le monde musulman. Ces prises de position, comme son
amitié indéfectible pour Isra‘l, même après Sabra et Chatila, lui ont
fermé sans doute plus d’une porte.
Quant au sociologue, père
spirituel de nombreux écologistes, il n’a cessé de dénoncer les
avancées technologiques, bouffeuses d’énergie, accroissant constamment
les richesses du Nord et préparant un grand suicide collectif. Pour
lui, les sciences n’ont jamais été neutres et objectives. Comme
recherche du moyen toujours le plus efficace, la technique recèle en
soi une volonté de domination et une capacité constante de modification
de la nature. Il en résulte un monde dans lequel le moindre incident
mécanique ou matériel peut devenir un désastre, un monde de plus en
plus fragile sous sa toute-puissance extérieure. Le 11 septembre 2001
peut, dès lors, apparaître comme une quintessence de ses prévisions :
une catastrophe majeure provoquée par un groupe islamiste armé de
cutters dérisoires.
Si sa pensée séduit des politiques ou des
théologiens de bords très différents, si ses controverses font toujours
mouche malgré certaines contradictions, si ses combats regorgent
d’actualité, l’initiateur de la formule «agir localement, penser
globalement» reste largement négligé, en tout cas des médias. Les
récentes rééditions de certains de ses ouvrages annoncent sans doute un
renouveau d’intérêt. Car, par sa richesse, sa perspicacité et sa
rigueur, Jacques Ellul ne peut pas ne pas avoir sa part dans les
réflexions en cours sur l’avenir de nos sociétés.
Christian Ogay
Rééditions de Jacques Ellul :
Le Système technicien, le Cherche midi éd., 2004.
Les nouveaux possédés, Mille et une nuits, 2003.
L’Espérance oubliée, La Table ronde, 2004.
Sans feu ni lieu, La Table ronde, 2003.
La Pensée marxiste, La Table ronde, 2003.
La Subversion du christianisme,
La Table ronde, 2004.
Deux études de vulgarisation et d’enquête :
Jean-Luc Porquet, Jacques Ellul, L’homme qui
avait presque tout prévu, le Cherche midi éd., 2003.
Patrick Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul,
La Table ronde, 1994.
L’Association internationale Jacques Ellul à Bordeaux prépare un colloque les 21 et 22
octobre prochains à Poitiers.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!