Après Breaking the waves, Lars von Trier revient avec un film innovateur et dérangeant, Les Idiots.
Voyage entre folie et normalité.
On se souvient des cloches apparaissant dans le ciel pour terminer Breaking the waves : preuve que Lars von Trier était devenu un catholique trop orthodoxe pour faire du cinéma, ou qu’il avait décidément un sens développé de la provocation ? Son dernier film, Les Idiots, ne permet pas de sortir du dilemme : le réalisateur entretient une relation complètement ambigu‘ avec la norme. Dans ce long métrage, il profite de la venue d’une nouvelle technologie, la caméra numérique, pour filmer dans la rue façon cinéma direct de la Nouvelle Vague et échapper aux contraintes des productions coûteuses. Mais contre cette liberté nouvelle, il se dépêche de rédiger, avec quelques potes, un manifeste du cinéma fauché sous forme normative, « Dogma », aux termes duquel il est interdit aux signataires de filmer avec un trépied, d’utiliser le son off, etc.
Notre « idiot intérieur »
Ë côté de ce manifeste aristico-légal, le véritable plaidoyer du film est en faveur du notre « idiot intérieur ». Le dispositif consiste à montrer des acteurs qui jouent aux débiles mentaux et inventer des situations servant de point de départ à une réflexion sur la maladie mentale. « Assez de sentimentalisme », s’écrie un des acteurs embarqués dans cette aventure « limite ». « Autant une partouze » qu’une pseudo-intégration par l’échange commercial, en vendant des décorations de Noël dans des quartiers bourgeois. Les questions les plus délicates à propos du handicap mental sont abordées : la sexualité, le pouvoir, l’image, etc. Poussant plus loin l’expédition au pays de la folie, le film révèle les dangers du jeu : un acteur est abandonné à des gros bras qui l’ont invité à boire un verre ; le voilà contraint de continuer sa simulation sous peine de se faire casser la figure ! On voit aussi comment tirer parti de son aptitude au handicap mental : une actrice use de son pseudo-dérangement pour faire pression sur son amant dans un contexte professionnel fortement codé. Les exercices de débilité appliquée se succèdent avec la virtuosité de cadreur-monteur du Danois ÐÊqui fait presque oublier le mal de tête causé par l’effet Luna Park de la caméra à l’épaule. Malheureusement, le film s’écrase en une fin qui pèse trop lourd. Karen, de retour dans sa famille après son stage d’idiotie, se prend une claque. Elle feint de dérailler pour se sortir d’une situation trop dure pour elle. Et la débilité ainsi bafouée de devenir le nouveau « dogme ».
Lars von Trier dans-la-loi ?
Jacques Mühlethaler
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!