La Lettre aux Bédjuis s’adresse à un ami décédé, surnommé Pierre Siffleur, qui a initié l’auteur aux secrets du village d’Isérables. Les délicates proses de Farquet donnent à voir les lieux négligés, oubliés, ainsi Le Voyage amoureux (1985) ou Sept cents ans de solitude (1991).
Guidé par les récits de son ami, Farquet, enseignant retraité, s’installe durant quelques semaines dans le village, qu’il arpente tel un ethnologue en herbe, carnet de notes en main. Comment c’est, la vie, dans ces villages de deux mille ans, qui meurent doucement ? Telle est sa question, inquisitrice et sentimentale tout à la fois. Pour connaître Isérables, il lui faut d’abord cerner les mystérieux « Bédjuis », comme ils se nomment : l’étymologie viendrait de Bédouins et, à leurs traits, certains ont fait l’hypothèse que les Sarrasins ont fait halte dans la vallée. Toujours est-il que, coupés du monde, rassemblés dans une pente vertigineuse où les maisons ne sont qu’escaliers, les Bédjuis ont développé des coutumes et conservé des pratiques anciennes qui les placent en porte-à-faux vis-à-vis de la plaine du Rhône, où les jeunes s’en vont travailler. Paradoxe, Isérables a survécu grâce à l’industrie : de petites usines horlogères, ou de mécanique fine, s’y sont installées, bénéficiant d’une main-d’œuvre peu exigeante. L’usine a retenu l’exode rural. Elle est intégrée à l’imaginaire villageois. Discrètement, avec un goût gourmand des mots, Farquet suit les veuves dans leur ballade, interroge une vieille paysanne, laisse traîner ses oreilles au café Alpina, à la sortie d’un enterrement. Il recueille des bribes de mémoire, écoute poétiquement voleter les ancêtres autour de la tribu d’aujourd’hui, relève les mots saillants. Peut-être que le promeneur de passage a été berné : « La vérité d’un village montagnard, c’est ce qu’il cache », avait dit Pierre Siffleur. On en retiendra quelques percées dans la richesse de la culture alpine, et deux ou trois fort jolis proverbes, comme celui-ci : « Plus on donne à boire, moins on donne à penser ! »
Jérôme Meizoz
Raymond Farquet, La Lettre aux Bédjuis, Vevey, L’Aire, 1999.
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