Le libre-échange et la promotion des exportations compromettent la sécurité alimentaire des pays pauvres et aboutissent au protectionnisme des régions riches.L’ Accord sur l’agriculture conclu dans le cadre de l’OMC doit être rediscuté.
Sept ans après l’entrée en vigueur de l’Accord sur l’agriculture, conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), on mesure mieux les dégâts et aberrations de la recette libérale, axée sans compromis, au Sud comme au Nord, sur le libre-échange et la promotion des exportations. On exige en effet des paysans du monde entier non seulement d’être rentables, mais compétitifs. Une aberration, car comment comparer un fermier australien exploitant intensivement des milliers d’hectares, un agriculteur européen grassement subventionné et un petit riziculteur de Mindanao ? Les uns sont chroniquement dépendants des soutiens publics, les autres arrivent à peine à subvenir à leurs besoins, quand ils ne sont pas ruinés par l’invasion massive de produits américains ou européens vendus à des prix cassés.
Cette situation a amené les œuvres d’entraide à élaborer une nouvelle position, plus soucieuse de la complexité des problèmes. En effet, comme de nombreuses autres organisations non gouvernementales de développement, la Communauté de travail s’est longtemps alignée sur les revendications des gouvernements du Sud en matière d’accès aux marchés agricoles du Nord. Aujourd’hui, on constate que les pays pauvres consomment toujours plus ce qu’ils ne produisent pas et produisent toujours plus ce qu’ils ne consomment pas (avec des coûts sociaux et environnementaux très élevés). Huitante pour-cent des hommes et des femmes qui souffrent de la faim sur la planète sont des paysans : ceux dont justement le métier est de nourrir. Un véritable non-sens à l’échelle mondiale.
Le marché intérieur des pays pauvres
La nouvelle position de la Communauté de travail prend en compte deux axes fondamentaux et complémentaires. Premièrement, le développement des marchés intérieurs dans les pays pauvres. On reconnaît en effet à l’agriculture, au-delà de la production, plusieurs fonctions : renforcement du tissu économique local, création d’emplois, développement économique et social à long terme. Cela est particulièrement vrai pour les pays qui pratiquent une agriculture de subsistance, employant beaucoup plus de main-d’œuvre que l’agriculture d’exportation. Le développement des marchés intérieurs doit, par conséquent, redevenir une priorité ; les pays pauvres doivent retrouver le droit de mener de véritables politiques agricoles nationales, en mettant l’accent sur la protection et le soutien aux petits paysans, le développement rural, la dissolution des grands monopoles aux mains des multinationales et la mise en œuvre de réformes agraires.
Deuxièmement, des voix de plus en plus nombreuses plaident pour un retour au droit de protéger les marchés agricoles aux frontières. Ce serait en effet une solution beaucoup plus transparente et équitable, qui permettrait de contrebalancer les effets pervers des règles de l’OMC : d’un côté, des soutiens internes réservés aux pays riches, totalement opaques et inattaquables devant l’OMC ; de l’autre, des marchés ouverts et à la merci des importations bon marché, où les paysans sont sacrifiés au nom du libre-échange. La protection par des tarifs est le seul type de soutien à ne pas avoir d’effet de dumping sur le reste du monde et à être accessible aux pays pauvres. Cette option devrait être complétée par une meilleure maîtrise de l’offre dans les pays industrialisés afin d’éviter le bradage des surplus sur les marchés internationaux.
Contre les exportations à tout prix
Revendiquer la protection des marchés agricoles et une diminution de la production intensive au Nord ne signifie pas s’opposer au commerce international. De fait, ce n’est pas l’ouverture des frontières en tant que telle qui est en cause. Ce sont les priorités qui ont été fixées en matière de promotion des exportations : les économies exportatrices utilisent non seulement de manière abusive les ressources naturelles et humaines, mais surtout, loin de les résoudre, elles ont souvent aggravé les problèmes de la pauvreté et de la faim dans le monde. Le but d’une politique agricole mondiale digne de ce nom doit être l’émergence d’un marché international équitable et rémunérateur pour les paysans au Nord comme au Sud, et non l’augmentation des exportations à tout prix.
Bastienne Joerchel Anhorn
Communauté de travail Swissaid / Action de carême / Pain pour le prochain / Helvetas / Caritas
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