Partout, la globalisation des marchés se poursuit, avec son cortège de mégafusions, de coups en bourse, de restructurations à l’échelle mondiale. Ces productions de l’économie-spectacle ne frappent plus guère les esprits, tant elles appartiennent au quotidien du grand business.
La surprise demeure en revanche très vive quand les entreprises fraîchement libéralisées, dégagées des contraintes du secteur public traditionnel, se mettent à jouer le grand jeu de l’internationalisation. De fait, les compagnies d’électricité, de chemins de fer, de télécommunications, de la poste même, ne peuvent plus se confiner au marché de leur pays de domicile ; elles doivent bel et bien se déployer par-dessus les frontières nationales, pour assurer leur propre survie et pas seulement pour flatter l’ego de leurs managers.
Dans ce contexte, la dissolution annoncée de CANES (Communauté d’actionnaires Nestlé), après plus de vingt ans d’une activité intelligente et courageuse, perd son allure paradoxale. Voilà une association qui, observant les circonstances de son action, éprouve « le besoin d’un renouvellement et d’une nouvelle impulsion » et réfléchit sereinement à son avenir dans un monde en continuelle évolution.
Nestlé n’est plus « tueuse de bébés » mais a comme d’autres intégré les principes d’une certaine déontologie dans les affaires. Et si la plus grande entreprise ayant son origine et son siège en Suisse garde son caractère emblématique, elle n’est plus LA multinationale. Nombre d’autres sociétés, y compris celles qui sont encore rattachées dans les faits ou les esprits au secteur public, se bousculent sur la scène de l’économie globalisée.
En outre, la position des actionnaires a changé. Même choyés par les obsédés de la « sharehoIder value», ils n’ont pas tous les yeux rivés sur le seul dividende. En particulier les investisseurs institutionnels (caisses de pension et autres institutions de prévoyance), qui doivent diversifier leurs placements, peuvent ajouter des considérations éthiques à leurs critères de choix économiques. Leurs gérants peuvent désormais compter tant sur les conseils de la fondation Ethos que sur les fonds de placement spécialisés dans le « sociodurable ».
Avant de disparaître, CANES aura donné naissance à l’Association pour une économie durable dénommée ACTARES, réunissant les actionnaires décidés à exercer pleinement leurs droits et responsabilités, par exemple en faisant à l’occasion des assemblées générales des interventions rompant avec le rituel hyperconsensuel de ces grandes messes annuelles du capitalisme.
Entre les manifestations publiques anti-OMC du mouvement incarné notamment par ATTAC et les opérations plus discrètes d’actionnaires organisés en véritables « lobbies de l’éthique », les managers n’auront qu’à bien se tenir. Et les grands syndicats de travailleurs, qui peinent à coordonner leurs activités à l’échelle internationale, seraient bien inspirés de prendre exemple sur de modestes associations du type CANES, capables de réfléchir au sens de leur engagement dans des conditions changeantes et d’adapter leurs méthodes de travail en conséquence. YJ
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