Robes et colifichets : la mode avait le charme de la légèreté quand elle se contentait de se renouveler. Elle sévissait momentanément, puis laissait place à une autre fantaisie, qui à son tour allait faire marcher le commerce.
Styles de management et méthodes de gestion : le phénomène de mode pèse désormais sur toute la vie, débordant le champ pourtant étendu de la consommation de produits et de services. Source de gaspillage et de factice, la mode Ð et son corollaire, l’obsolescence planifiée Ð a envahi les secteurs d’activités en principe les plus sérieux.
Ainsi, les chefs d’entreprises les plus gradés (en abrégé : CEO, non plus PDG), les « bancassureurs » les plus puissants, les consultants les plus coûteux sacrifient eux aussi à la mode : ces messieurs se sont branchés sur les termes, les pratiques et les idées en vogue,
Ð que par ailleurs ils influencent. L’alternance mode-démode est programmée : Small was beautiful, les mégafusions l’emportent. L’expérience des «vieux» collaborateurs était prisée, on ne mise désormais que sur les créateurs de «start up » de la « Nouvelle économie». Les objectifs poursuivis figuraient parmi les critères d’une bonne gestion, seuls les résultats obtenus sont aujourd’hui pris en compte au moment de l’évaluation.
Même les juristes, réputés si rigoureux dans la pensée, même les assemblées législatives, censées travailler pour les législatures à venir, se montrent désormais sensibles aux modes passagères. Le cycle est certes moins rapide que dans les fringues ou les bagnoles mais, en droit aussi, le tout ceci menace d’alterner avec le tout cela. Actuellement, nous vivons à l’ère du « tout contrat », du mandat de prestations tous azimuts, après avoir connu les temps du Ê«tout norme ». Tout devient matière à commande passée à des organismes extérieurs à l’Etat, prétexte à des opérations d’« outsourcing ». De l’ingénieur chargé d’études techniques au chef de projets socio-culturels, du consultant autonommé aux CFF SA en passant par les sociétés de surveillance, de gérance, d’entretien, de promotion, etc., toutes les professions, libérales en particulier, se partagent des tâches auparavant accomplies dans le secteur public.
En soi, la privatisation à froid de telles tâches n’a rien de rédhibitoire. Après tout, certaines entreprises ou organisations privées peuvent s’avérer mieux équipées pour l’accomplissement de missions particulières, durables ou non, que des institutions ou des administrations permanentes, à vocation plus générale. Et il incombe au mandant, à l’Etat donc, d’assortir la commande passée au mandataire des conditions sociales, ou écologiques nécessaires.
Mais il faut se méfier du « tout contractuel », présentement fort en vogue. Il faut s’en méfier non seulement comme d’une mode passagère susceptible d’inspirer des décisions ayant des effets à plus long terme. Ce genre de décalage coûte trop cher pour qu’on en prenne le risque à tout propos. Plus dangereux encore : en cédant à la mode des mandats et contrats de prestations, l’Etat se berce d’illusions sur l’efficience de la méthode, qui n’est pas une panacée universelle, tout au plus une solution occasionnelle. Carrément pervers enfin : en suivant la mode, l’Etat cède à une pulsion quasi-suicidaire : celle de laisser aller sous prétexte d’ouverture, d’appliquer seulement les plus faciles des recettes du Nouveau management public, de se dérober en confiant à des tiers des tâches inaléniables.
L’Etat doit se montrer extrêmement sélectif dans l’attribution de mandats de prestations et très attentif dans la rédaction des contrats y relatifs. A défaut, il n’échappera pas au reproche que certains lui font déjà, dans le domaine culturel notamment : celui de consentir, bêtement, à sa propre implosion. YJ
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