Les fusions permettent rarement d’atteindre pleinement les résultats escomptés par leurs auteurs. Mais ces résultats, on le sait, sont toujours douloureux. Pour la concurrence, qui sent monter la pression ; pour la société rachetée, qui perd son indépendance sinon son identité juridique ; pour les fournisseurs et les clients, qui se savent vendus avec les autres avoirs ; pour les travailleurs surtout, qui font à tous les coups les frais de l’opération, bien réussie ou pas.
Car les motivations de la fusionnite ont beau varier selon les moments ; ainsi des marchés financiers porteurs et une attention obsessionnelle au shareholder value provoquent l’actuelle vague de fusions. Mais en toutes circonstances, l’objectif poursuivi par la restructuration reste le même, qu’il soit baptisé synergie, rationalisation, repositionnement sur le marché, optimalisation des activités ou accroissement de la capacité d’investir.
Concrètement, cet objectif se traduit par une diminution globale du nombre des postes de travail dans l’unité nouvelle, tous pays d’intervention, tous métiers exercés, tous niveaux hiérarchiques confondus. Les salariés, de l’ouvrier non spécialisé au directeur général, le savent bien : personne n’est à l’abri Ð seules les conditions de départ varient selon la position dans l’entreprise : rien que le délai légal ou réglementaire Ð quand il existe Ð pour les uns, indemnités plus ou moins somptueuses pour les autres.
D’instinct, les collaborateurs d’une société sont en alerte dès que l’agitation naît en bourse autour d’un titre intéressant leur employeur. Et les promesses d’un Christoph Blocher ou d’un Martin Ebner n’ont pas de quoi les rassurer ; une semaine après leurs grandes déclarations sur la sécurité de l’emploi dans l’aluminium en Suisse, la vérité transparaît : plus de 200 postes sont bel et bien menacés en Suisse orientale, à peine moins en Valais, et encore une fois autant dans les centres administratifs de Zurich (Algroup) et Bâle (Lanza).
Comme si tout cela ne suffisait pas, il y a, par-delà les dégâts sociaux, une autre conséquence funeste du mouvement, général, inéluctable, de restructuration de l’économie dans le sens d’une continuelle concentration des pouvoirs et des capitaux. C’est la confusion des patrimoines immatériels des entreprises, l’affaiblissement de leur identité culturelle, en quelque sorte la diminution de la « biodiversité » économique.
Cet effet, on le mesure difficilement, tout au plus a contrario : on explique le plus souvent l’échec pratique d’une fusion par des raisons liées à la culture d’entreprise et aux usages de ses dirigeants. En clair, la greffe ne prend pas. Ni avant (Renault-Volvo), ni même après (Chrysler-Daimler Benz), comme on l’observe dans l’industrie automobile.
Mais qui s’alarme de cette forme d’appauvrissement culturel ? Dans les milieux d’affaires, on en prend tout au plus le risque en compte, parmi beaucoup d’autres facteurs. Quant aux politiciens et aux syndicats, ils ont bien sûr d’autres problèmes à régler que de se préoccuper des aspects culturels de la globalisation. YJ
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