Par l’un de ces mouvements de contrition dont le capitalisme helvétique a l’hypocrite secret, on a simulé une certaine déception en constatant que seuls quelque 70 000 actionnaires privés ont finalement souscrit des actions Swisscom Ð soit moins d’une personne sur les six qui avaient manifesté leur intérêt dans les trois mois précédant l’introduction en bourse.
Et pourtant ce résultat est remarquable, compte tenu des comportements habituels des petits investisseurs suisses et surtout des circonstances prévalant au début d’octobre. Si les 440 000 personnes intéressées avaient concrétisé leur curiosité ou leur intention, elles auraient d’un seul coup doublé le nombre des actionnaires en Suisse ; car malgré la révision du droit des sociétés anonymes et la réduction du nominal de cent à dix francs au minimum, le capitalisme reste peu populaire dans ce pays, où un habitant sur treize environ est actionnaire, contre un sur trois en Suède, un sur quatre aux États-Unis ou en Norvège, un sur six en Grande-Bretagne, un sur dix en France ou au Japon.
Par ailleurs, l’introduction des actions Swisscom ne pouvait survenir à un pire moment : chute des cours sur toutes les places boursières du monde, affaire UBS/LTCM, incertitudes financières tous azimuts. Au point que deux jours avant la première cotation de la fameuse action bleue, les analystes parlaient encore d’un éventuel report de l’opération, pourtant préparée de longue date. La semaine dernière en France, l’État a carrément renoncé au placement en bourse d’une fraction supplémentaire de France Télécoms et reporté à des jours meilleurs la privatisation du Crédit lyonnais.
De ce côté-ci du Jura, les premières cotations de la nouvelle action Swisscom ont effacé toutes les hésitations antérieures ? aussitôt supplantées par les indignations que suscite la tardive « découverte » de certains parlementaires, soudainement alarmés par les audacieux investissements de Swisscom à l’étranger, pourtant connus de longue date (voir DP 1279 du 28 novembre 96).
Pas de quoi rassurer les petits investisseurs, tiraillés entre leurs inquiétudes bien compréhensibles et les encouragements que continuent de prodiguer les spécialistes de la corbeille.
Dès octobre 1992, Stephan Coradi prédisait que le nouveau droit des SA, entré en vigueur trois mois plus tôt, ne suffirait pas à transformer « le peuple des bergers suisses en un peuple de petits capitalistes » (Le Temps des Affaires, octobre 1992). Pour en rester aux helvétismes, disons que si, depuis Armée 95, chaque enfant ne naît plus soldat, il ne naît pas encore actionnaire, malgré les titres à dix francs. Par un même souci de sécurité sans doute. YJ
Pour ne manquer aucun article
Recevez la newsletter gratuite de Domaine Public.
Et si l’envie vous prend de passer de l’autre côté de l’écran, DP est ouvert aux nouvelles collaborations: prenez contact!