Imagine-t-on Christoph Blocher interpeller Ruth Dreifuss sur le sort d’une patiente âgée qui serait oubliée aux urgences d’un hôpital zurichois ? Le leader de l’opposition britannique a, lui, brandi un cas douloureux dans sa circonscription pour flétrir le bilan du gouvernement Blair en matière de santé.
Le NHS (National Health Service) fait l’orgueil des Britanniques : personne (pas même Mme Thatcher à son apogée) ne remet vraiment en cause cette organisation étatique, centralisée et gratuite, c’est-à-dire entièrement payée par l’impôt, des soins ambulatoires et hospitaliers. Mais pas vraiment leur fierté, tant les listes d’attentes pour les interventions chirurgicales les plus courantes (cataracte ou hanche artificielle) ou le cadre dégradé de nombre d’établissements sont proverbiaux. Non que le résultat soit mauvais : la santé de la population est bonne, les (vraies) urgences sont traitées, la médecine de pointe est excellente ; et tout cela en y consacrant une part nettement moindre du revenu national que les pays comparables, comme la Suisse ou la France. Îuvre de l’après-seconde guerre mondiale (comme l’AVS en Suisse), le système est manifestement inadapté pour répondre aux attentes d’une société désormais individualiste et consumériste, dont les besoins de base sont pourvus ; l’émergence d’un secteur privé et d’assurances complémentaires consacre en fin de compte la réalité d’un régime à deux vitesses.
En Suisse, on n’imagine pas Ruth Dreifuss répliquer à ses détracteurs en orchestrant une campagne de dénigrement d’une patiente et de sa famille (pourtant bons électeurs travaillistes), et soutenir que toute plainte est une attaque contre le personnel du NHS et ne peut que contribuer à la dégradation des soins ? En l’occurrence tant le pouvoir que l’opposition ont crûment illustré l’instrumentalisation d’un cas à des fins politiciennes. La réaction du gouvernement Blair témoigne aussi d’une attitude défensive et crispée qui contraste avec les ambitions de la Troisième Voie à son arrivée en 1996. Si l’on se vantait alors de « penser l’impensable », on en est revenu aujourd’hui à croire qu’il suffira d’augmenter les crédits destinés à la santé.
Mais où, comment ? Outre l’avantage comparatif indéniable de la petite taille du pays, le fédéralisme d’une part et une organisation fondée sur une pluralité d’acteurs, publics et privés, d’autre part, préservent le Conseil fédéral d’avoir à répondre à ce genre de dilemme. Il en a d’autres, et il n’est pas certain que les patients suisses soient plus heureux de se plaindre de leur cotisation d’assurance maladie que d’avoir passé trois jours dans un couloir sans que l’on change leurs habits ensanglantés ? fb*
*Collaborateur régulier de DP, François Brutsch s’installe provisoirement en Angleterre.
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