Finie la complaisance bienveillante à l’égard de l’économie et du politique. La mode est au nerf, au punch, au caractère. Il faut montrer aux lecteurs que l’on n’hésite pas à bousculer, à critiquer. Tous les journaux s’y sont mis : des hebdos, dont c’était déjà la ligne, aux quotidiens, qui furent les plus grands thuriféraires des notables locaux.
Cette prise de distance ne nous inspirerait que des louanges si elle ne s’accompagnait pas d’une complaisance nouvelle à l’égard des gorges profondes et des corbeaux en tous genres. Plus moyen de voir le portrait d’une personnalité, le compte rendu d’un événement ou l’analyse d’un dossier sans y placer quelques phrases entre guillemets. Le plus souvent, sous couvert de se protéger, leur auteur refuse d’être cité nommément. Il devient alors « un proche du dossier », « un collègue de parti » ou toute autre appellation accrocheuse censée renforcer la crédibilité de l’information, mais anonyme toujours.
Evidemment, ces citations animent un article, lui donnent un style « vécu » du meilleur effet et valorisent son auteur qui montre ainsi l’étendue de ses relations et sa capacité à obtenir la révélation de petits secrets. Mais ont-elles une vraie valeur informative ? Sans autres précisions, non. Vous trouverez toujours, dans l’entourage de toute personne un tant soit peu connue, quelqu’un prêt à en dire du mal, à la critiquer, à la trouver incapable de décider ou au contraire trop prompte à le faire toujours dans le même sens. Sans devenir passionnante pour autant, l’information commencerait à être utilisable si l’on savait qui pense cela : une personne éconduite ? un « ami de trente ans » ? Quant à ces fameux
« connaisseurs du milieu », ont-ils des intérêts déclarés ou obscurs dans le dossier dont on parle ? le connaissent-ils réellement ? ou s’agit-il du serveur du bar du coin ?
Le rôle de la presse consiste à obtenir des informations, y compris celles que l’on voudrait lui cacher. Les journalistes peuvent et doivent évidemment avoir recours aux discussions « off », aux témoignages anonymes et aux indiscrétions. Mais ce n’est pas une fois ces révélations obtenues que le travail d’investigation se termine ; c’est là qu’il commence. Il faut alors comparer, recouper, obtenir confirmation et, si personne ne veut être cité, être suffisamment sûr de ce qui est avancé pour le reprendre à son compte, sans laisser planer le doute par des guillemets énigmatiques.
Car il faut bien que quelqu’un assume l’information : la personne citée, qui doit alors être identifiée, ou l’auteur de l’article, qui la signe de son propre nom. Au lieu de dire que certains trouvent le dossier mal géré, on pourra alors l’affirmer, en disant pourquoi. Voilà qui servira davantage la transparence que de connaître l’opinion d’on ne sait quel porteur d’eau. PI
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