Les premiers travailleurs immigrés arrivent à Lausanne vers 1803. Ce ne sont pas des Italiens ou des Espagnols ; ils ne viennent pas de l’Europe du Sud, ce sont des Allemands ! Les métiers de la construction connaissent une grande prospérité. Lausanne doit devenir un chef-lieu de canton et s’équipe de bâtiments neufs. Les terrassiers, les maçons et les charpentiers viennent en masse d’Outre-Rhin. La première caisse de secours pour les menuisiers étrangers de Lausanne est créée en 1804 sous l’impulsion de la bourgeoisie locale. Parmi les donateurs, on trouve les noms des Rivier, Mercier ou Langallerie. Jusqu’en 1824, les procès-verbaux seront tenus en allemand !
Mais au cours de ce dur et miséreux xixe siècle, les Suisses émigrent en masse. Ils sont plus de 100 000 à quitter le pays, chassés par nos dernières famines, celle de 1816, année sans été, avec un hiver permanent provoqué par l’explosion d’un volcan à Java et celle de 1847 causée par l’arrivée du Mildiou qui provoqua la grande famine d’Irlande et fut aussi durement ressenti ici. Toutes ces informations sont tirées de publications remarquables réalisées à l’occasion du bicentenaire de l’Etat de Vaud.
En revanche, l’exposition au Musée historique de Lausanne sur les mouvements de population est pauvre : elle n’est composée que de panneaux explicatifs, de grandes photos et de voix qui lisent des lettres écrites par des migrants. Mais elle n’en est que plus émouvante. Loin de l’image d’une société rurale et immobile, on se rend compte que les brassages de population ont été absolument constants depuis deux cents ans. Ceux qui partent et ceux qui viennent vivent souvent dans une misère noire. Les Vaudois émigrés aux Amériques échouent parfois totalement et les maçons piémontais qui s’établissent dans le canton mettent parfois toute une vie à s’intégrer tant bien que mal.
En fait, les documents antérieurs au xviiie siècle attestent que les mouvements de population, loin d’être une exception, sont au contraire absolument constants. Les inscriptions romaines, la connaissance de quelques noms parmi les constructeurs de cathédrale, les registres bernois relatifs à l’arrivée des réfugiés huguenots montrent que le nombre d’allogènes est toujours important et que l’hostilité des indigènes à l’égard des nouveaux arrivants, lorsqu’elle est documentée, est non moins constante. Naturellement ce qui est vrai pour le pays de Vaud l’est sans doute aussi pour les autres cantons. C’est une bonne nouvelle . L’identité de nos petites patries, longtemps bâtie sur des traditions locales largement fantasmées et inventées, commence à prendre en compte la réalité : celle d’un monde qui n’a cessé, depuis toujours, d’être en mouvement incessant.
De l’émigration à l’immigration 1803-2003, vivre entre deux mondes , Musée historique de Lausanne jusqu’au 2 novembre 2003.
Mémoire vive, n° 12, Lausanne, 2003.
www.lausanne.ch/memoirevive
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